Les Grands de la poésie du XXe siècle : Entretien avec Pierre Jean Jouve (deuxième partie)
22/05/2016
Pierre Jean Jouve : Je reste fidèle à cette clef du malheur baudelairien : "... Je ne conçois guère... un type de Beauté où il n'y ait du Malheur." (Fusées, X). J'ai repris ce texte en 1958 sous le titre Tombeau de Baudelaire (aux éditions du Seuil) en augmentant le portrait de Baudelaire, en lui joignant de plus près les portraits de Delacroix, de Meryon et de Courbet. Vous me dites que Baudelaire s'est trompé sur Courbet : il est vrai, "Si réalisme il y a...". Baudelaire détestait ce qu'il nommait le "réalisme sans imagination" de Courbet. C'est un malentendu, le lyrisme de Courbet est incontestable ; Baudelaire n'a pas vu la magie de Courbet. Mais Baudelaire était tellement aveuglé par Delacroix et par sa conception de l'Imagination ! Et je dirai que les Fleurs du Mal ne sont pas le produit de cette imagination-là ; elles sont le produit d'une autre imagination dont il ne parle pas.
Connaissez-vous le commentaire fait par Jakobson sur le dernier "Spleen" des Fleurs du Mal, publié dans le n°29 de la revue Tel Quel et que nombre de baudelairiens en titre ont spontanément rejeté ?
Pierre Jean Jouve : Je ne l'ai pas lu, et je me méfie. Mais mon ami Jean Starobinski a fait dans une étude récente à la N.R.F. ce qui m'a paru une découverte : dans l'édition originale du Monde désert, il a retrouvé un poème - supprimé ensuite par l'édition définitive - en rapport avec une situation dramatique, un peu antérieure du roman même. Plaçant les deux objets côte à côte, il constate des parentés d'images (la statue qui bouge) et le passage de ces images dans le poème alors sans titre, retiré du Monde désert, justement pour ces raisons de répétition, et devenu depuis la Mélancolie d'une belle journée au commencement de la Symphonie à Dieu.
Starobinski démontre donc à partir de cet exemple qu'une certaine situation dramatique se trouve derrière le poème, et que cela doit être plus généralement compris dans d'autres cas de ma Poésie. Cette analyse structuraliste est en tout cas une preuve très curieuse pour moi d'une origine tragique antérieure au poème.
Dans votre oeuvre, il y a la poésie, le roman, les essais, les traductions et, comme réinventée par l'écriture, en motif majeur au coeur de la tapisserie du Texte, la musique.
Pierre Jean Jouve : Ma mère était musicienne. La musique est ma mère. J'ai été formé par elle, j'ai commencé par vivre en musique, avec un vague désir de composition qui n'était pas éduqué. Je jouais assez convenablement du violon, à l'époque cela s'appelait jouer dans le Quatuor de Debussy. Même au moment où j'ai commencé à penser aux Lettres, cette passion de la musique ne m'a pas quitté. En miroir donne la racine de "ma musique". Aujourd'hui que je suis sur le deuxième versant, la musique reste une chose essentielle.
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