La vocation du poète : René Char
29/12/2018
Ce poème de René Char (dont vous savez l'admiration que je lui voue : 4 poèmes manuscrits inédits, de sa plume, ont d'ailleurs été reproduits au fil des livraisons dans Diérèse) paru en 1934 dans Le Marteau sans maître, est repris dans l'anthologie à laquelle il donne son titre : Commune présence. C'est ici un authentique art poétique au centre duquel sont proclamées les vertus essentielles du poète, vertu du moraliste autant que de l'artiste. Il y écrit notamment, un vers toujours - ô combien -, d'actualité : "Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit...". Mais écoutez plutôt :
Tu es pressé d'écrire
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d'elle tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-la comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.
Essaime la poussière.
Nul ne décèlera votre union.
René Char
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