Quelques pages du Journal de Sylvie Huguet
30/01/2019
25 janvier
Monique me harcèle pour que j’accepte de donner les leçons particulières qu’elle m’a trouvées. « Tu gagnes peu, me répète-t-elle. N’oublie pas que nous aurons des frais supplémentaires quand le bébé sera là. » Comme si je n’étais pas déjà dévoré de tâches mercantiles ! Sur mon bureau, les copies de l’examen blanc me narguent. J’ai pris un retard de huit jours sur la date prévue pour les rendre, si bien que mes collègues me harcèlent aussi. Tous voudraient m’accaparer sans partage, m’interdire les espaces de contemplation où je m’absorbe et qui me permettent de respirer, comme un plongeur rejoint l’azur ébloui de la surface pour y gonfler ses poumons d’air pur. Si je m’imprègne suffisamment du bleu profond de leur poitrail, si j’épouse d’assez près la courbe de leur encolure et la direction de leur regard, peut-être pourrai-je à nouveau partager le songe enchanté qui les maintient dans leur extase immobile, et tout ce qui m’entrave se déliera enfin. Ma vie, ma femme, mon fils, l’appartement dont il faut payer les traites, le pullulement des insectes humains dans la ville couleur de suie, tout me harasse, tout est en trop, je voudrais tout effacer d’un coup de gomme, tout recouvrir d’une coulée de peinture bleue comme une nappe de jacinthes recouvre les sous-bois.
Sylvie Huguet
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