Jean Laude (1922-1984) : "sur le chemin du retour", éd. Club du poème, 300 ex., Bonneville, novembre 1967
15/07/2019
Un livre peu souvent cité de l'auteur des "Plages de Thulé", le mystère y règne et l'on songe à Georges Limbour.
Voici un extrait de ce récit, dédié à l'auteur tchèque Zdeněc Lorenc. De la poésie, assurément (en prose), avec le plaisir tout personnel cette fois de revivre par la pensée les marches estivales effectuées dans les massifs alpins : de hameaux - parfois vidés de leurs âmes - en villages, depuis les pentes du Brévent jusques à celles de la Grande Sassière... [Une autre histoire, pardonnez-moi]. En amitié, Daniel Martinez
La lampe de celui qui écrit est toujours la première que voit le voyageur, lorsque, de nuit, ayant pris son bâton et son havresac, il s'engage d'un pas prudent sur le chemin du retour. A la chaude saison, l'aube se lève dès que le regard distingue, au loin, la masse confuse de la forêt. Comme si la joie d'une promesse était insoutenable, le ciel déjà très pâle devient blanc, d'un seul coup. L'on ne voit pas encore le lac, masqué par un éperon rocheux entièrement nu (et rouge). Un oiseau lance le premier cri. L'air bleuit. D'abord transparent, l'azur est de plus en plus soutenu. A l'orée éclatante de la forêt, le soleil tient sous son erre le pays tout entier. La mousse est parsemée de taches claires, immobiles : nulle feuille ne tremble. Nous avançons calmement, comme on glisse dans la mer. Gravie la pente roide du ravin, l'odeur des fleurs et des herbes sauvages se fait plus insistante. Alors s'espacent les chants alternés des oiseaux. Il y a le silence. La nuit. La lampe de celui qui écrit est toujours la dernière que voit le voyageur lorsqu'il reconnaît désormais sa tentative vaine et, une fois encore, fermé le chemin du retour. Une ombre légère passe dans les ténèbres et attarde, à travers la fenêtre engivrée, un regard que rien n'apaise. Celui qui écrit entendra bientôt s'ouvrir une porte, une femme crier. A ce que l'on prétend, jamais les loups ne franchissent le sentier qui marque la limite du village, qui coupe, un peu plus loin, la route bordée de statues...
Jean Laude
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