"Nantas, suivi de Madame Sourdis", d'Émile Zola, Librairie Générale française, Libretti, juillet 2004
17/03/2020
Une nouvelle assez fascinante de Zola, que cette Madame Sourdis, publiée en avril 1880 dans Le Messager de l'Europe, une grande revue de Saint-Pétersbourg. Émile Zola vient de publier Nana (mars) et met la dernière main aux Soirées de Médan, véritable manifeste collectif du naturalisme. Zola cessera sa collaboration au Messager de l'Europe en décembre de la même année.
Dans cette nouvelle, l'auteur tâche à rendre patent l'influence d'une femme, Adèle de son prénom, qui va aider Ferdinand Sourdis dont l'inspiration tarit, à terminer un tableau qu'il n'arrivait pas à mener à bien. Adèle Sourdis prendra un rôle directeur dans la réalisation finale du Lac, voici comment :
"Tiens, on a touché à mon tableau !"
A gauche, on avait terminé un coin du ciel et un bouquet de feuillages. Adèle, penchée sur sa table, s'appliquant à une de ses aquarelles, ne répondit pas tout de suite.
"Qui est-ce qui s'est permis de faire ça ? reprit-il plus étonné que fâché. Est-ce que Rennequin est venu ?
- Non, dit enfin Adèle sans lever la tête. C'est moi qui me suis amusée... C'est dans les fonds, ça n'a pas d'importance."
Ferdinand se mit à rire d'un rire gêné.
"Tu collabores donc, maintenant ? Le ton est très juste, seulement il y a là une lumière qu'il faut atténuer.
- Où donc ? demanda-t-elle en quittant sa table. Ah ! oui, cette branche."
Elle avait pris un pinceau et elle fit la correction. Lui, la regardait. Au bout d'un silence, il se remit à lui donner des conseils, comme à une élève, tandis qu'elle continuait le ciel. Sans qu'une explication plus nette eût lieu, il fut entendu qu'elle se chargerait de finir les fonds. Le temps pressait, il fallait se hâter. Et il mentait, il se disait malade, ce qu'elle acceptait d'un air naturel.
"Puisque je suis malade, répétait-il à chaque instant, ton aide me soulagera beaucoup... Les fonds n'ont pas d'importance."
Dès lors, il s'habitua à la voir devant son chevalet. De temps à autre, il quittait le canapé, s'approchait en bâillant, jugeait d'un mot sa besogne, parfois lui faisait recommencer un morceau. Il était très raide comme professeur. Le second jour, se disant de plus en plus souffrant, il avait décidé qu'elle avancerait d'abord les fonds, avant qu'il terminât lui-même les premiers plans ; cela, d'après lui, devait faciliter le travail ; on verrait plus clair, on irait plus vite. Et ce fut toute une semaine de paresse absolue, de longs sommeils sur le canapé, pendant que sa femme, silencieuse, passait la journée debout devant le tableau. Ensuite, il se secoua, il attaqua les premiers plans. Mais il la garda près de lui ; et, quand il s'impatientait, elle le calmait, elle achevait les détails qu'il lui indiquait. Souvent, elle le renvoyait, en lui conseillant d'aller prendre l'air dans le jardin du Luxembourg. Puisqu'il n'était pas bien portant, il devait se ménager ; ça ne lui valait rien de s'échauffer la tête ainsi ; et elle se faisait très affectueuse. Puis, restée seule, elle se dépêchait, travaillait avec une obstination de femme, ne se gênant pas pour repousser les premiers plans le plus possible. Lui, en était à une telle lassitude, qu'il ne s'apercevait pas de la besogne faite en son absence, ou du moins il n'en parlait pas, il semblait croire que son tableau avançait tout seul. En quinze jours, Le Lac fut terminé...
Émile Zola
Les commentaires sont fermés.