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Aujourd'hui, je dirai seulement de ce jardin que j'y ai vu, d'année en année, la lumière circuler comme un enfant qui jouerait. D'année en année, c'est vrai, je la voyais moins bien, j'avais plus de peine à la suivre, à lui parler. Mais elle jouait toujours sous les feuillages accrus, sans rides, elle, sans cicatrices et sans larmes. Parce qu'elle est entre les choses, elle paraît inaltérable, éternelle même. Et c'est grâce à ces verdures fragiles, à ces jardins changeants, précaires, qu'on la voit. Qu'on y repense un instant entre deux pensées plus sombres ou plus avides. Les plantes murmurent sans cesse de la lumière. Il faudrait trouver ce que dirait Dieu, ou du moins une joie suprême. L'obstacle, l'écran qui les révélerait.
(Ici, de nouveau, surgissent les couleurs, sur fond de terre, à l'abri des cyprès, dans leur enclos sombre ; le troupeau des couleurs, des fleurs - et il y a aussi les feux des saules, une charrette, un homme accroupi, travaillant on ne sait à quoi, un arrosoir. Le rose insaisissable, jailli, suspendu : vol arrêté. Dans l'abri, derrière les barrières vertes, ces braises qui ne brûlent pas si on les prend dans sa main, mais s'y éteignent vite. L'aube des arbres, du bois. Comme il est étonnant que cela doive se changer bientôt en fruit rond et lourd, tels des œufs d'oiseaux... Arbre un instant couvert d'ailes, qui vont tomber, jaunir, s'éparpiller, se remélanger à la terre encore humide.)
Là-haut, ces abeilles froides - chassées par celles du soleil. Je voudrais marcher là-haut maintenant, atteindre le bord de ces miroirs, de ces lacs qui se résorbent lentement, y plonger le visage - au-dessus des arbres et des fleurs.
Philippe Jaccottet
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