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La poésie est impitoyable.
Non qu'elle ne tende pas la main, bien sûr. On peut dire que le plus souvent c'est elle qui la donne. Mais là s'arrêtent sa générosité et sa grâce. Un instant après, elle se retire en son aire. C'est de là qu'elle préfère contempler ta lutte dans l'histoire secrète de la poésie. C'est alors qu'elle t'impose sa dureté, sa cruauté, son inclémence : car, à présent, c'est ton tour.
Ilhan Berck
C'est dans le numéro 19 (octobre 2002) de Diérèse que j'ai eu le plaisir d'accueillir le poète Ilhan Berck (1918-2008), avec des poèmes inédits extraits pour partie de Deniz Eskisi (Le Vieux de la mer, 1982) et de Güzel Irmak (Le beau Fleuve, 1988), tous deux parus aux éditions Adam (Istanbul). Le traducteur, rencontré à l'Inalco, en était Timour Muhidine. Voici, pour les lecteurs du blog, un poème significatif de cet écrivain, qui est à rattacher au courant post-moderne de la poésie turque. Ilhan Berck était également peintre. Je ne commenterai pas le fait qu'il est très peu traduit...
Les mots
Je suis les mots de la bouche, moi, ceux des cils des enfants,
(Vous, c'est-à-dire le printemps, nuées d'oiseaux)
les traits de la facilité,
la toison de l'aimée
Et du temps (Lui qui est mémoire
dans l'histoire du corps)
Puis encore une réminiscence
De ta chair nue.
Il est blessé
l'amour.
Car ils sont blessés tous les mots
Ces armées de Croisés.
(Vous autres les couchers de soleil, les clochers d'église)
Je les laisse amener un à un
Pour ta bouche
Un par un tous, mais oui tous les mots
En ton nom
(comme s'ils te touchaient).
Moi qui suis amour, moi qui suis l'amour par excellence
(Vous, c'est-à-dire les soleils, les ciels)
Un perce-neige se fane quelque part va donc enfile tes yeux
d'un mouvement
Ta nudité fascinante et paisible.
La gueule rougeoyante de l'amour.
in Le beau Fleuve, 1988
traduction de Timour Muhidine
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