241158
Douce T.,
Au moment où je me dirige vers la chambre, un intense rayon de lumière traverse la fenêtre, cette lumière rendue si vive par la couleur du ciel. Dans son ensemble, il est d'un gris lourd, bleu très foncé, ayant presque l'aspect du plomb. Un ciel plombé de nuages épais qui se laissent transpercer par le soleil.
La beauté surgit ainsi, comme une caresse sur les monts et vallées verts des champs fraîchement semés. Un oiseau de proie prend son envol. Le calme est infini de ce que je pourrais croire être un tableau plus vrai que nature tant la nature nous semble aujourd'hui si étrangère, si hostile même. Pluie, froid, on n'en suppose plus la poésie tant le confort rend notre vie abstraite, jusqu'à l'abolition de toutes les nuances, de tous les violents contrastes des reliefs et du temps.
Au moment même où je décide de t'écrire, plutôt que de relire Grimod de La Reynière, le soleil a disparu, la grisaille l'emporte, la pluie, et bientôt, très vite, la nuit.
Cet engourdissement d'être seul, malheureusement pour peu de temps, puisque le temps est compté, toujours, et davantage pour moi en ce moment, quand je dis en ce moment je pense cette année, et cette année pour moi signifie presque les derniers beaux moments de ma vie, ce qui n'est sûrement pas vrai, puisque je t'écris, cette emprise aussi de la fatigue à n'avoir pas assez dormi, comme d'habitude, me rendent d'une extrême vulnérabilité, sensible aux moindres changements.
(Le soleil ayant resurgi, je suis sorti goûter cette beauté des couleurs rousses et cendrées des bois, des arbres entre les prés et les champs, si éphémère et menacée qu'on en éprouverait facilement de la peur, sans raison, parce que tout, peut-être, est empli de mort et d'absurdité sans limite...)
Serge Safran
Les commentaires sont fermés.