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III
Le livre n'est qu'un cube de conscience brûlante, et fumante, et rien d'autre.
Le cri du coq de bruyère au printemps, c'est le souci que prend la nature de la conservation des volatiles. Un livre, c'est comme un coq de bruyère au printemps. Il n'entend rien ni personne, assourdi par son propre cri, absorbé dans son propre cri.
Sans lui l'espèce spirituelle n'aurait pas de succession. Elle s'éteindrait. Les singes n'avaient pas de livres.
IV
La vie ne date pas d'hier. L'art n'a jamais commencé. Il a toujours été là, avant même de devenir.
Il est infini. Et ici, en cet instant, derrière moi et en moi, il est tel que, comme par le souffle d'une salle des actes aux portes soudain grandes ouvertes, je me sens enveloppé par la fraîcheur et l'élan de son omniprésence et de sa pérennité : comme si on assignait l'instant à prêter serment.
Pas un seul vrai livre n'a de première page. Comme le murmure de la forêt, il prend naissance Dieu sait où, et grandit, et roule, réveillant les fourrés les plus secrets, et soudain, à l'instant le plus obscur, le plus étourdissant et le plus panique, parle, parvenu à son terme, par toutes ses cimes à la fois.
VI
En se livrant à ses fantaisies, la poésie rencontre la nature. Le monde vivant, réel, c'est l'unique dessein de l'imagination qui a réussi un jour et qui, jusqu'au bout, reste toujours réussi. Le voilà qui continue, dans un succès de chaque instant. Il est toujours aussi réel, profond, passionnant à ne pas pouvoir s'en détacher. Ce n'est pas lui qui pourrait vous désenchanter au bout de vingt-quatre heures. Il sert au poète d'exemple bien plutôt que de modèle à reproduire.
Boris Pasternak
Ce texte a été écrit en 1918 et publié en 1922, il constitue une sorte de manifeste définissant les positions esthétiques de Pasternak au lendemain de Ma sœur la vie, le recueil lyrique de l'été 1917, traduit par Michel Aucouturier et Hélène Henry (Bibliothèque de la Pléiade, 1990).
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