"Le Testament du printemps", de Jean-Claude Masson, éditions Gallimard, 9/4/1991, 96 pages, 88 F
21/05/2021
La ville comme nous ne tenait pas en place,
la ville et ses troubles promesses : rues, parcs,
impasses, avenues ; l'inconnu nous prenait sous son aile,
les salles obscures, leur débauche de lumières,
les globes aveuglants des grandes terrasses,
le ruissellement doré des boulevards
onctueux sous la pluie, quand brasillent les bars.
La ville, fille de la nuit, nous sauvait
de la perdition par ennui. Un lacis
de venelles à la croisée des fleuves nous dressait
son rempart. Notre reflet grandissait dans les vitrines,
mais nos yeux brillaient d'une autre convoitise,
pure, intacte, absolue. Immobiles dans l'heure creuse,
les chalands de midi vendangeaient notre rêve
qui s'accoudait au bastingage de la Meuse,
l'enjôleuse, oui, mais la sourde, la muette,
comme indifférente à tant de terres traversées,
fertilisées sans trop savoir pourquoi,
pour oublier sa longue fatigue, tuer
le temps comme sur sa rive les pêcheurs captivés :
la Meuse ensorceleuse parce qu'elle s'en va.
Jean-Claude Masson
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