"Confidence Man and his Mascarades", de Herman Melville (opus 1)
21/05/2017
Si Claire Parnet évoque aujourd'hui Moby Dick, c'est en fait pour dériver sur Le Grand Escroc (Confidence man and his Mascarades) d'Herman Melville, dont la meilleure traduction disponible est à lire aux éditions du Seuil, coll. Points Littérature. DM
"Plus Herman Melville s'est isolé du monde, plus la vie a envahi ses livres. Ses premiers romans ressemblent à sa jeunesse : ils racontent d'extraordinaires aventures qu'il a vécues. Leur succès est immédiat. En 1853, Melville s'installe à New York et, trois ans plus tard, il imagine un livre qui est la réalité de la mer, son âme même : Moby Dick. L'océan n'est plus un décor, il est l'origine.
Comme tous les grands écrivains, Herman Melville invente une lecture en même temps qu'une écriture. La lutte du capitaine Achab et de la baleine blanche n'est pas une métaphore à interpréter définitivement, elle est à lire à l'infini. Dans Moby Dick, tout est métaphore : comme les vagues, les phrases se découvrent pour mieux enrouler leurs mystères. Comme la mer, les mots grondent, se calment et arrachent des blocs de vérité d'on ne sait quelles profondeurs. Les métaphores sont un rythme qui emporte au-delà du visible. On perçoit l'invisible ; on le voit et on l'entend. Melville a construit son récit dans les vides et les tourbillons, hors la psychologie. Une langue vivante nous restitue la violence d'un combat, sous le rêve d'un vieux marin fou.
Moby Dick n'est pas lu. Avant sa publication, Melville s'est encore un peu plus retiré : il est fermier à Pittsfield. Il écrit sans répit un roman, Pierre et les Ambiguïtés, Israël Potter, d'abord en feuilleton ; des nouvelles et des contes : Bartleby et Benito Cereno.
En 1856, il invente The Confidence Man (Le Grand Escroc). La furie de Moby Dick semble loin, Melville a mis de l'ordre : la mer s'est changée en un fleuve calme, l'improbable équipage du baleinier Pequod, en une foule de passagers actifs, la pêche perdue dans le temps, en une traversée d'une aube à celle du lendemain. Un 1er avril, au lever du soleil, un albinos muet, vêtu de couleurs pâles, monte à bord du Fidèle.
Dans la première partie du roman, un Grand Imposteur ne cesse de duper les gens en multipliant les rôles et les déguisements. Comme la baleine blanche, il apparaît et disparaît ; mais lui ne réapparaît jamais sous son apparence précédente. Ses métamorphoses défilent à une cadence d'enfer. Melville complique encore cette grande parade en annonçant des rôles qui ne viendront pas : comme les métaphores, les changements de formes valent aussi pour eux-mêmes. Dans cette mascarade, les discours se bousculent, les rumeurs courent, les témoignages se contredisent pour mieux cerner le Grand Imposteur. Illusion supplémentaire : il ne sera jamais démasqué. A quoi bon arracher un masque qui en cache un autre ? Le Grand Escroc n'est pas un roman policier, c'est un carnaval philosophique.
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Claire Parnet
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