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On sait tout sur Pollock - qu'il était beau, alcoolique, génial, qu'il nous a laissé une vingtaine au moins de toiles inoubliables, qu'il "drippait", qu'il a rencontré un platane en conduisant trop vite, un certain 11 août 1956. Sur Lee Krasner, on en sait moins : c'était sa compagne, elle avait quatre ans de plus que lui. Elle s'est plutôt (tristement) rendue célèbre en prétendant que "justement", au moment où il est mort, Jackson Pollock allait se remettre à peindre des choses figuratives. Voyez-vous ça : c'est ennuyeux pour l'Expressionnisme abstrait, mais on n'en a rien vu. Autre chose : quand ils se sont rencontrés, à la fin des années 40, elle était peintre et déjà assez célèbre, et lui pas.
Ce qui est sûr, c'est qu'elle a bien été une femme d'artiste, au sens terrifiant que revêt cette expression (elle a assisté, poussé, tiré, promu, mis de l'ordre, tenu à jour le carnet d'adresses), et qu'elle le récupérait régulièrement dans les bars... Et ce qui est sûr aussi, c'est que ce n'est tout de même pas très juste. Ils ont réalisé une œuvre ensemble en 1955 : l'Aigle déplumé, un collage qu'elle mène à bien avec sa propre peinture et les morceaux d'un dessin de Pollock. Il l'avait déchiré et lui en avait libéralement concédé les morceaux : après, elle a attendu sa mort pour se remettre à peindre : et là c'est quelque chose qu'il faut savoir, découvrir et voir, ce qui ne nous est jamais arrivé en Europe.
Lee Krasner est morte en 1984, et n'a été reconnue in extremis qu'en 1983 aux États-Unis... Mais c'est peut-être parce qu'apparemment, elle préférait les taches et les étalements aux jets. Y-a-t-il réellement de quoi se poser des questions ? On ne sait plus où on en est, d'autant que le temps a passé et qu'il faudrait savoir ce qu'il en est des taches dans les années 70-80. Le musée de Berne s'est fait au fil des années (1990 pour le couple dont s'agit) une spécialité des couples d'artistes - spécialité intéressante parce que parfaitement dénuée de complaisance : comme le remarque l'un de ses conservateurs, on peut toujours prétendre que le talent de ces femmes d'hommes célèbres - de Camille Claudel à Lee Krasner et alii - était inférieur à celui de leur mâle. N'empêche, ajoute le même conservateur, que bien des artistes-hommes de la même époque ne se sont pas trouvés éjectés de l'histoire de l'art sous prétexte qu'ils étaient inférieurs aux génies de l'époque.
Bon, ces femmes ont accepté un sort qui pouvait passer pour naturel, à leurs yeux et à ceux de leur compagnon. Ce qui n'est plus le cas pour les plus conscients d'entre nous, tous sexes confondus - c'est plus agréable, et d'ailleurs, en français, le masculin est le genre du général.
Vanina Costa
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