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La poésie, dans son essence, est opposition, ouverture maintenue, attente perpétuée. Elle refuse la prose du monde. Elle est en charge des possibles enfouis, des visions que la visée dominante écarte, de ces vues qu'on dit de l'esprit. La politique le sait bien qui, dès sa naissance à elle-même, à la conscience de sa force et de ses fins, de sa nécessité, proscrit les poètes... Ils parlent de ce qui, à ses yeux, n'est point, soit qu'ils nourrissent, à l'écart, des songes purs, soit qu'ils s'obstinent à douter de la nature des choses, à contester ce qui passe pour la réalité.
Nous touchons à une heure incertaine. Les maux de jadis, les famines et les pestes, les grandes tueries, les misères et les travaux d'esclaves ont reculé. Mais une ombre d'une autre nature s'étend sur le paysage. Elle obscurcira, si l'on n'y prend garde, les versants imprévus, les combes infusées de brume et de soleil, les bosquets du rêve, les chemins qui mènent vers l'inconnu, le pays des merveilles. La poésie est création, comme l'indique le nom enfoui sous son nom. Elle était à l'origine. Elle fut de tous les instants, des hautes heures et des temps noirs. Elle est plus que jamais d'actualité en ce vertigineux moment où se pose avec une acuité sans exemple ni précédent la question de notre sens.
Pierre Bergounioux
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