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XV
LE TEMPS QUI PASSE
L'instant est la sensation qu'on a soustraite au temps. Son temps d'arrêt en est la négation.
Le risque de cette arrogance est votre regard fixe : qu'il ne vous fasse un paysage chaotique ou désert.
Monotonie des crissements d'insectes : musique intemporelle, sons séparés des cordes de l'instrument.
Les branches noires des arbres, dans l'hiver, nouent et dénouent le blanc du ciel.
Plus tard, suspendues la tête en bas, les chauves-souris veillent entre deux règnes animaux.
Tandis que nous nous taisons et parce qu'il fait nuit, la mer continue de tourner ses pages, mais elles sont noires.
Odeur de pomme acide : la chaleur de l'été meurt à nouveau en engluant mes doigts de sa salive.
Nous sommes plus anciens quand le ciel est plein de son sel gris.
Le sol est toujours en avance sur nos pas. Celui qui se retourne à l'improviste se voit lui-même immobile.
Des grumeaux de bois noir demeurent parmi les cendres froides. Le spectacle du rien ne sera pas accompli : le feu n'achève pas son ouvrage.
Du temps jeté sur du temps et une faim qui ne sera pas nourrie.
Le temps qui détruit tout se détruit lui-même dans l'oubli.
Les jours meurent plus vite que je ne meurs. Je garde un temps d'avance sur le temps.
L'éternité serait un temps sans durée. La pensée de l'éternité est un renoncement au désir de durer.
Héraclite : le temps est un enfant qui joue. Euripide : le destin de l'homme est enfant du temps.
Le battement des horloges oublie les défaillances du temps.
Le temps coule et sèche en croûtes comme le sang à la peau arrachée des genoux.
A l'origine du temps, il y aurait eu un temps nul, un non-temps, un avant-temps. Mais comment penser en terme de temps ce qui ne relèverait pas de la pensée du temps ?
L'errant est celui qui sait qu'on ne marche pas sur son ombre.
Le maintenant pousse ta porte et te voici nulle part.
Robe jetée sur les coussins de la chambre : ici-même, l'oubli.
Le temps estompe le lointain : la nuit tombe.
J'ai marché de juin à septembre dans l'espoir d'atteindre la mer. Je suis revenu avant la première neige.
Des grattements d'insectes égrènent le temps.
Rien d'autre, presque rien d'autre que des rythmes : les rafales du vent, le battement d'une porte qui dérobe une silhouette, une lame de peau entre jupe et chemise.
Et la machinerie des mots battant l'air.
L'écho et le contre-jour viennent à nous par des chemins inverses.
Certains oiseaux sont plus grands que le vent.
Il n'y eut pas de saisons intermédiaires : seulement des étés solaires et des hivers blancs.
Le vent souffla. Il se fit de grandes turbulences. Je cite pour mémoire le berger, la pierre souillée d'excréments et près de la source, sur le sol bleu et sous le reposoir des mouches, la charogne du renard.
Les heures s'embrouillent. Le temps est tremblé.
Longtemps, nous n'avons pas de passé. Un premier chagrin met le temps en marche. On commence d'attendre le retour de ce qui ne reviendra pas, dont on ignorera toujours ce que ça pourrait être.
Le temps, ce serait ça.
Marc Le Bot
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