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Juste avant le grand clash de mars 2020 - autrement dit la "Crise sanitaire" si mal orchestrée par les instances dirigeantes, toujours en retard d'un train, si ce n'est de deux -, a paru ce livre d'Alain Duault, par ailleurs présent in Diérèse 82 (numéro dont la sortie est prévue à la mi-octobre), étant entendu que nous partageons bien des points communs... Amitiés partagées, Daniel Martinez
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Être poète
Être poète, c'est regarder le monde avec des mots.
C'est être constamment sur le qui-vive avec la langue - mais en entendant : qu'ils vivent, les mots, les hommes, les oiseaux. C'est-à-dire : que la beauté les sauve et invente une perspective qui ouvre ses portes vers des couloirs nouveaux, déplie les temps trop sages, brise la mer gelée des évidences.
Être poète, c'est avoir des oiseaux dans la bouche, courir le ciel avec eux, gravir les échelles du vent avec des semelles trouées comme un parapluie sous tous les orages du monde. C'est, guetteur mélancolique, être le front aux vitres, veilleur de chagrin sujet aux langoureux vertiges. C'est vouloir découdre l'erreur des destins et des chemins déjà foulés, prendre les rêves au sérieux, ne pas se retourner sur Eurydice pour s'arracher à une saison en enfer. C'est aller au sud vers le nord. C'est se laisser emporter par les rythmes du corps qui ricochent d'une syllabe à une étreinte. C'est chercher les sept prénoms du vent ou ce qui reste après l'oubli, quand la mémoire a consumé tout ce qui aurait pu être, le désir et ses bateaux qui chavirent entre les mots. Être poète, c'est chercher la peau de l'être, accorder sa vie comme une main au temps qui passe si vite, à l'eau des songes, à la pluie sous les jupes des regrets, c'est manger ses ombres effarantes.
Être poète, c'est s'enivrer de mots sans doute, mais c'est aussi douter des mots, savourer ce qu'on ne peut savoir qu'en se jetant au feu, c'est le midi du soir et l'aube de la nuit, ce moment de passage, cet instant à peine où tout est sans repère. C'est chercher obstinément à dire ce qui ne se dit pas, à provoquer le monde, à dévoiler sa face. C'est crier et ne pas crier, murmurer, souffler dans les veines, chanter, s'arracher à la quiétude. C'est être un arbre, un rocher, le mouvement de l'arbre, la chute du rocher. C'est la route qu'on prend le soir qui nous emporte vers on ne sait jamais où. Cette route qui conduit à se perdre. Délicieusement se perdre. Affreusement. C'est ce moment où l'on se dit. C'est un regard comme une main qui ramène l'horizon. C'est un jeu. Une branche. Un peu d'eau entre les doigts. La pluie intérieure. C'est extrême.
Être poète, c'est écrire sans cesse pour résister à l'insoutenable poids de la nuit sur les roses. J'avais envie de vous parler des roses.
Alain Duault
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