06/04/2021
L'éditorial du numéro 80 de "Diérèse", par Jean-Pierre Otte
L'éternelle équation d'existence
Autrefois on chantait, aujourd'hui on renâcle. C'est le temps de la rancœur et de la canaillerie, de l'aigreur et de la résignation. Dépits d'infortune, rancunes et amertumes liées à des mémoires d'injustices ou de désillusions. Nous évoluons par écrans interposés dans un monde substitué au monde naturel, où nous sommes de surcroît substitués à nous-mêmes, animés de désirs qui ne sont pas les nôtres, d'envies inculquées, infusées, mimétiques, jusqu'à l'addiction. L'âme est en prêt-à-porter. Nous sommes supplantés et nous achevons de nous supplanter mutuellement, la chair pétrie d'un esprit qu’on a mis en place du nôtre et que certains en nombre croissant ne supportent plus, ce qui serait peut-être le signe d'une dernière santé ou offrirait l'opportunité d'un dépassement.
Mais quoi ? Le passé ne serait-il donc jamais dépassé ? Avec le déclin de l'agriculture et la déliquescence de la culture née de cette agriculture, un monde n'en finit pas de finir, meurt et n'en finit pas de mourir, sans qu'un monde nouveau et une nouvelle manière d'être, apparaissent distinctement. Nous sommes dans l'intervalle, dans le passage du temps turbulent. Que se passe-t-il quand on passe ?
Au rebours de l'aigreur ou du malheur indifférent, y aura-t-il un gai savoir, une fraîcheur dans la réception personnelle, une capacité vierge à recevoir et à partager ?
Dans ce théâtre de circonstances, le poème est dans l'acte de l'écrire, de le lire ou de le dire. La poésie continue de se fonder sur la cadence, les harmoniques, les sonorités, les dissonances, les silences, les allitérations et le rythme respiratoire, tout en laissant aux mots le loisir d'ourdir leurs propres images insolites et d'exprimer ainsi la saveur de ce qui, quoi qu'on fasse, nous demeure insaisissable.
Par-delà les effets et les causes, le propre du poème, dans l'espace-temps qui lui est spécifique, est de nous déposséder de nous-mêmes, de nous impersonnaliser dans l'instant, de nous retrancher de toute actualité et nous soustraire aux informations intempestives : en fait, de nous vider dans un vertige, tantôt dans une plongée au fond des gouffres, tantôt dans une danse ascendante d'alouette. Pour ensuite, dans le reflux, nous rendre à une sensibilité neuve, à une connaissance intuitive, aux champs magnétiques et à cet arbre au soleil alors qu'il y a un vent coulis : dans l'oscillation des branches, des parties éclairées retombent dans l'ombre tandis que d’autres qui étaient dans l’ombre éclipsées, viennent à la lumière et ainsi incessamment et diversement, en mouvements semblables, jamais les mêmes. La contemplation se fait hypnotique, et, alors qu'on peut la croire terminée, elle se prolonge dans les espaces galactiques qui sont au-dedans de nous-mêmes.
L'enjeu poétique, au final, est de nous restituer notre intimité, de nous rendre à notre espace personnel par une sorte de flash ou de ré-apprivoisement progressif, et de faire que vivre sa vie redevienne une aventure. N'omettons pas que les images que charrient les poèmes comme les rivières charrient des alluvions, nous expriment en nous faisant ce qu'elles expriment, et que par là, elles sont des occasions de devenir, de passer outre, de se porter ailleurs, de se modifier de fond en comble, et de rétablir l'éternelle équation d'existence au dénominateur commun de la double appartenance à soi-même et au monde.
Il faut restituer à chacun la certitude d'exister à titre d'exception. Nous sommes de tous les temps et de tous les espaces, contemporains de tout. Être universel, a-t-on dit, c'est être unique et verser en même temps dans tous les sens.
Jean-Pierre Otte
16:46 Publié dans Diérèse 80 | Lien permanent | Commentaires (0)
31/01/2021
Des nouvelles de la prochaine livraison de Diérèse !
La maquette de Diérèse 80 va très bientôt être confiée à l'imprimeur ; un numéro composé en hommage au poète lorrain Bernard Demandre qui nous a quittés le 2 mars 2020 auquel la revue consacre un Cahier entier, fort de 90 pages. Le dossier, concocté par Eric Chassefière, comprend une partie introductive, avec une analyse fouillée des livres du poète (et critique) parus de son vivant, et des inédits, confiés à Diérèse par sa veuve.
Le deuxième Cahier compte 45 pages, le troisième, 40. Suivent 3 Récits, de Claude Dehêtre, Jean Bensimon et Michel Diaz ; puis le seizième Tombeau des poètes, proposé par Étienne Ruhaud. Et la partie critique, avec les Bonnes Feuilles (56 pages pour 38 titres commentés).
Sans oublier la Poésie étrangère, en bilingue, par laquelle j'aurais dû commencer (last but not least), car elle ouvre ce numéro. Un espace de 24 pages que deux poètes se partagent.
Diérèse 80 totalise 316 pages ; celles ou ceux dont les textes ont été retenus pour publication - qui n'ont pas pu paraître dans cette livraison, faute de place - le seront dans la suivante, sans souci aucun. J'ai d'ailleurs pris soin de les annoncer au colophon.
A bientôt donc, pour de nouvelles aventures ! Prenez soin de vous, par les temps qui courent (avec une pensée pour P., un poète de Diérèse, sorti du coma mais toujours hospitalisé par la faute de ce virus qui continue à faire des siennes). Amitiés partagées, Daniel Martinez
09:56 Publié dans Diérèse 80 | Lien permanent | Commentaires (0)