31/07/2021
"Amandiers", de Lorand Gaspar, enté de trois lavis de T'Ang, éd. Pierre-Alain Pingoud, 21/6/1996, 48 p., 80 F
Dans l'œil de la tourmente
sur le seuil brûlant du cratère
l'églantier.
Noyau de pudeur déboutonné
tendresse doucement froissée -
Ces bris, ces haltes claires dans le sang
orage tactile dans le noir humide.
Dans l'enclos défait du combat
rougeur qui porte à bout de bras
le cœur de sa fragilité -
quelque part c'est toujours le même
bruissement d'aubes dans les pierres.
Lorand Gaspar
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30/07/2021
"Poteaux d'angle", de Henri Michaux, éditions Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages, 13,90 €
Un livre majeur de Henri Michaux, qui s'est écrit en l'espace de 10 ans, chez 3 éditeurs successifs (éditions de l'Herne, 29 janvier 1971, 38 pages ; Fata Morgana, 6 octobre 1978, 76 pages ; Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages). L'un de mes livres de référence, j'y puise les ressources nécessaires quand ce que charrie à l'envi ce siècle vingt-et-unième m'exaspère "un peu" trop. A ses côtés, j'ai logé Coups d'arrêt, paru au Collet de buffle le 31 octobre 1975, une plaquette de 16 pages agrafées, à la couverture rouille clair ; l'électricité statique qui s'en dégage est si vive que je le range toujours (après de multiples lectures) à la même place, non sans quelque soulagement.
... Ce qu'a écrit à Michaux Robert Valençay le 23 juin 1971, après la première publication de Poteaux d'angle, mérite ici d'être cité, car ce n'est pas de pure forme, comme chez certains gens-de-lettres :
"Les poteaux sont bien là, certes. Mais les lignes d'angle, à l'intersection desquels ils sont fichés n'en sont pas moins perceptibles, aussi bien dans le domaine auditif que visuel. Et elles évoquent soudain pour moi cette sorte de bataille de traits que jadis se livrèrent Apelle et Protogène.
Vous avez su tracer ici, sur le ou les traits que nous proposent tant de philosophies douteuses, une ligne, plus déliée encore, une ligne qui fulgure à froid pour ne garder que l'essentielle pureté.
Vue sous un fort grossissement, cette ligne est une veine à nu de vif-argent qui remonte impassiblement, au milieu du fleuve, le courant vain des scories qui l'entourent.
Mais ne serait-ce pas là le mercure philosophal ?" (Henri Michaux, Œuvres complètes, La Pléiade, tome 3, p.1729).
Voici :
Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?
Communiquer quoi ? tes remblais ? - la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.
Nouvelles de la planète des agités : avec un fil à la patte, ils filent vers la lune, avec mille fils plutôt, ils y sont, ils alunissent et déjà songent à plus loin, plus loin, à des milliers des milliers de fois plus loin, attirés par le désir nouveau qui n'aura plus de fin, dans un ciel de plus en plus élargi. Cependant sans s'arrêter, des masses immenses dans les espaces tournent à toute vitesse, s'écartent, se fuient, s'attirent, s'équilibrent, orbitent, muent, géants de matière au paroxysme, jusqu'à explosion, jusqu'à implosion, luttant, enragés d'existence, l'existence pour l'existence, pour pendant des milliards d'années continuer à exister, étoiles de toute sorte et galaxies, elles aussi entraînées à exister.
Mais pourquoi donc ? Pourquoi ?
Suicide en satellite.
Celui qui repassera sur cette orbite entendra d'étranges sons : sur des millions de kilomètres d'espace sans personne, un cosmonaute fantôme, sa préoccupation inapaisée, frappe perpétuellement un dernier message qu'on ne s'explique pas.
Henri Michaux
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29/07/2021
"Les enfants sauvages", de Lucien Malson, éditions 10/18, juin 1983, 256 pages
Chacun se souvient du film : "L'Enigme de Kaspar Hauser", de Werner Herzog, inspiré d'un fait réel. Ci-après, la relation que nous en fait Lucien Malson dans son livre bien conduit dans l'ensemble (sauf pour ce qui touche à Kamala de Midnapore), et reconnu pour l'aspect historique et sociologique de ces phénomènes hors du commun, qui à leur époque ont défrayé la chronique. Signalons que ce texte a été écrit en avril-juin 1963 ; leur fait suite, en annexe, les mémoire et rapport sur Victor de l'Aveyron, par Jean Itard, médecin français du XIXe siècle.
Voici un extrait du chapitre III, qui débute par ce qu'il en fut de la vie de Gaspard Hauser :
Le 26 mai 1828, vers cinq heures du soir, un jeune homme incroyable, titubant, trébuchant, totalement perdu, apparaît sur l'Unschlittplatz de Nuremberg, aux yeux étonnés d'un bourgeois qui se repose assis devant sa porte... L'étonnant voyageur, on le saura bientôt, a dans ses poches un petit mouchoir marqué à ses initiales, des prières catholiques manuscrites, des opuscules, un rosaire et de la poudre d'or. Il tient à la main une lettre adressée à "l'honorable capitaine de cavalerie du 4e escadron du 6e régiment de Nuremberg". Le bourgeois ébahi conduit l'étrange personnage à la caserne de la ville. La mystérieuse lettre dit en substance : "Ce garçon veut servir son roi. Sa mère l'a placé chez moi. Je ne l'ai jamais laissé sortir. Je lui ai appris la lecture et l'écriture. Je l'ai conduit jusqu'à Nuremberg, à la nuit." Sur une fiche jointe on peut lire encore : "L'enfant est baptisé, il s'appelle Gaspard. Il est né le 30 avril 1812. Quand il aura dix-sept ans, conduisez-le à Nuremberg, où son père - qui est mort - fut cavalier. Je suis une pauvre fille." Les militaires parquent l'arrivant à l'écurie. Il s'endort dans la paille. On aura du mal à le réveiller pour le conduire vers vingt heures au local de police où, à la plume, il écrit son nom : Gaspard Hauser...
Le 18 juillet 1828, Gaspard quitte sa tour et les locaux de la police, pour la maison du Pr Daumer qui, depuis quelque temps, le regardait en pitié. En quelques mois la dissymétrie du visage de Gaspard s'est résorbée ainsi que son prognathisme. C'est un garçon trapu, large, aux yeux bleu clair, à la peau fine et blanche, aux mains élégantes. Il porte encore la marque de quelques cicatrices fraîches et celle, plus profonde, d'une blessure au bras droit. Il continue de se plaindre de violents maux de tête et, assoiffé, boit de l'eau en quantité...
Qui est-il ? D'où vient-il ? Sa mémoire n'enferme pas grand-chose. Il se tourne vers son passé, désespérément, et parvient tout de même à se souvenir : il a l'impression d'être "arrivé au monde" et d'avoir "découvert des hommes" à Nuremberg ; avant il existait dans "un trou", "une cage" ; il vivait d'eau et de pain ; il s'était, un jour, endormi après la prise d'un breuvage - de l'opium, dont il reconnaîtra l'odeur chez Daumer - ; dans sa tanière, il disposait de deux chevaux de bois ; chaque jour, un être, dont il n'a jamais vu le visage, venait lui donner sa pitance, ou, se tenant derrière lui, lui faisait tracer quelques figures, quelques lettres, quelques chiffres. Cet être, le premier dont il garde une notion, il l'appelle maintenant : l'Homme, tout simplement. On murmure, en ville, que Gaspard va livrer bientôt son secret. Ces ragots lui seront fatals.
L'Homme, d'abord, le 17 octobre 1829, était peut-être revenu. Gaspard, malade, se reposait à la maison, seul avec la belle-mère de Daumer et sa sœur Katharina. Vers midi Katharina aperçut des gouttes de sang dans l'escalier, puis dans les communs. Gaspard était introuvable. On le découvrit à demi-mort dans la cave. Il dit à plusieurs reprises un seul mot : Mann (l'Homme). Blessé au front il demeura plongé pour quarante-huit heures dans le coma et le délire et mit vingt-deux jours à guérir. On avait, semble-t-il, aperçu l'Homme dans la ville, on l'avait sans doute identifié : "Je ne puis, disait Feuerbach, révéler tout ce que je sais d'après les actes de la justice." Cette dernière prudence devait ajouter un risque de plus à ceux semblables, que faisaient courir à Gaspar les révélations sans cesse attendues de sa part.
Lucien Malson
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