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19/10/2019

En Birmanie, avec Antonin Potoski

Quand on atterrit à Bagan, on a l'impression d'arriver au Maroc, alors qu'on est au centre de la Birmanie, en pleine Asie humide : les mêmes petits champs de terre sèche, les mêmes chemins sablonneux, les mêmes herbes jaunes, les mêmes arbrisseaux en fleurs, le même ciel furieusement bleu et la même fulgurance de la lumière qui ne ressemble pas aux lumières d'Asie. Posées dans ce paysage, à perte de vue, où que l'on porte le regard, des pointes dressées vers le ciel, parfois recouvertes d'or ; des milliers de stupas et de pagodes en briques rouges, majestueuses. Les restes d'une ancienne capitale birmane.
A Bagan, les êtres flottent. Comme un peuple de papillons, on a l'impression que les gens glissent juste au-dessus du sol, un tissu noué autour de la taille, graciles. Les écoliers ont une robe verte et leur visage, aux joues et au front, est maquillé avec une poudre de bois d'un jaune très clair qui ressemble à de l'or pâle sur leur peau caramel. Des moinillons nous montrent, fiers, la ruche qui s'est bâtie sur le flanc du Bouddha de la salle de prière où ils passent la nuit sur des nattes. Ils dorment avec les abeilles.
Le soir, nous choisissons une pagode, une masse énorme vers laquelle nous marchons sur les chemins secs. Le grésillement des insectes dans les arbustes est tel qu'on pourrait les visualiser, en fermant les yeux, au son qui épouse exactement leur forme, en suspension dans l'air du soir. Des dizaines d'écureuils gris peuplent la brique des pagodes, courent sur les façades dès que la nuit approche ; leurs cris résonnent dans les couloirs. Les intérieurs sont obscurs. La lumière du couchant, toute rose, effleure les ouvertures de l'ouest et vient s'éteindre dans la démesure et le silence. Ce moment où la nuit naît dans l'intérieur des temples est si parfait qu'à lui seul il justifie l'étrangeté de leur architecture.
Aucun endroit au monde ne se prête à ce point à la magie d'un rendez-vous, à l'heure des écureuils, à l'heure où l'or s'éteint, dans le grand calme de la vallée, dans la tiédeur des briques. Parfois en avançant à tâtons on heurte un relief : c'est le genou d'un Bouddha de six mètres de haut qui sourit encore dans le noir.

Antonin Potoski
in "La plus belle route du monde"
éd. P.O.L., 2000

20:44 Publié dans Voyages | Lien permanent | Commentaires (0)