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12/07/2016

"Romance somnambule" de Federico García Lorca

ROMANCE (1) SOMNAMBULE

 

                                  à Gloria Giner
                                  et Fernando de los Rios (2)

 

Vert c’est toi que j’aime vert.
Vert du vent et vert des branches.
Le cheval dans la montagne
et la barque sur la mer.
L’ombre jusqu’à la ceinture,
elle rêve à sa balustrade,
vert visage, cheveux verts,
prunelles de froid métal.
Vert c’est toi que j’aime vert.
Et sous la lune gitane
tous les objets la regardent,
elle qui ne peut les voir.

*

Vert c’est toi que j’aime vert.
De grandes étoiles de givre
escortent le poisson d’ombre
qui ouvre la voie de l’aube.
Le figuier frotte le vent
avec sa râpe de branches.
Le mont, comme un chat sauvage,
hérisse tous ses agaves.
Mais qui viendra ? Et par où ?…
Toujours à sa balustrade,
vert visage, cheveux verts,
la mer est son rêve amer.

 

                Federico García Lorca, 2 août 1924
               
traduit par André Belamich

[…]


______________________


1. "Le romance" n’a rien à voir avec la romance dans la langue de Rimbaud : strictement espagnol, forme de poème hérité du XVe siècle, mais "modernisé", entre autres grands poètes, par Federico García Lorca qui, s’il part de la réalité (la gitane), glisse dans l’onirique, le "somnambulique" à partir du halo suscité par une couleur. Ici, un extrait du texte, à lire en son entier dans La Pléiade.
2. Fernando de los Rios et Gloria Giner son épouse. Grand ami de Lorca, qui l’influença dans son parcours, il fut notamment à l’origine du séjour aux USA du poète, en 1929.

06/03/2016

Federico García Lorca

     "Le poète qui va faire un poème (je le sais par ma propre expérience) a la vague sensation d'aller à une chasse nocturne dans un bois fort éloigné. Une peur inexplicable bruit dans son coeur. Pour s'apaiser, il est toujours bon de boire un verre d'eau fraîche et de tracer à la plume des traits sans signification... Le poète part à la chasse. Des brises délicates rafraîchissent le cristal de ses yeux. La lune, ronde comme un corps de tendre métal, retentit dans le silence des plus hautes ramures. Des cerfs blancs apparaissent dans les clairières, entre les troncs. La nuit tout entière se rassemble sous un écran de rumeur. Les eaux profondes et tranquilles miroitent entre les joncs... Il faut se mettre en marche. Et c'est là, pour le poète, le moment dangereux. Il doit avoir un plan des lieux qu'il va parcourir et rester serein devant les mille beautés et les mille laideurs déguisées en beautés qui passeront sous ses yeux. Il doit se boucher les oreilles comme Ulysse devant les sirènes et aussi décocher ses flèches aux métaphores vivantes et non à celles qui, factices, marchent en sa compagnie. Moment dangereux si le poète s'y laisse aller, car dès qu'il le fera, jamais plus il ne pourra édifier son oeuvre. Le poète doit partir en chasse pur et serein, et parfois même sous un déguisement. Il résistera avec fermeté aux mirages et guettera attentivement les proies palpitantes et réelles qui s'harmoniseront avec le plan qu'il a entrevu pour son poème. Il faut parfois pousser de grands cris dans la solitude poétique pour mettre en fuite les mauvais esprits de la facilité qui voudraient nous porter aux complaisances vulgaires, dépourvues de sens esthétique, d'ordre et de beauté."  

                                                                                    Federico García Lorca

 

Ainsi s'exprimait le poète des "Romances gitanes" ("Romancero gitano"), Federico García Lorca, dans une conférence qu'il donna à Grenade le 12 février 1926, et plus tard à Madrid et à La Havane.

La translation de ce texte est de Michel Host, Prix Goncourt 1986, qui a donné la meilleure traduction à ce jour des "Romances gitanes suivies de Complainte funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías".