241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/03/2016

Federico García Lorca

     "Le poète qui va faire un poème (je le sais par ma propre expérience) a la vague sensation d'aller à une chasse nocturne dans un bois fort éloigné. Une peur inexplicable bruit dans son coeur. Pour s'apaiser, il est toujours bon de boire un verre d'eau fraîche et de tracer à la plume des traits sans signification... Le poète part à la chasse. Des brises délicates rafraîchissent le cristal de ses yeux. La lune, ronde comme un corps de tendre métal, retentit dans le silence des plus hautes ramures. Des cerfs blancs apparaissent dans les clairières, entre les troncs. La nuit tout entière se rassemble sous un écran de rumeur. Les eaux profondes et tranquilles miroitent entre les joncs... Il faut se mettre en marche. Et c'est là, pour le poète, le moment dangereux. Il doit avoir un plan des lieux qu'il va parcourir et rester serein devant les mille beautés et les mille laideurs déguisées en beautés qui passeront sous ses yeux. Il doit se boucher les oreilles comme Ulysse devant les sirènes et aussi décocher ses flèches aux métaphores vivantes et non à celles qui, factices, marchent en sa compagnie. Moment dangereux si le poète s'y laisse aller, car dès qu'il le fera, jamais plus il ne pourra édifier son oeuvre. Le poète doit partir en chasse pur et serein, et parfois même sous un déguisement. Il résistera avec fermeté aux mirages et guettera attentivement les proies palpitantes et réelles qui s'harmoniseront avec le plan qu'il a entrevu pour son poème. Il faut parfois pousser de grands cris dans la solitude poétique pour mettre en fuite les mauvais esprits de la facilité qui voudraient nous porter aux complaisances vulgaires, dépourvues de sens esthétique, d'ordre et de beauté."  

                                                                                    Federico García Lorca

 

Ainsi s'exprimait le poète des "Romances gitanes" ("Romancero gitano"), Federico García Lorca, dans une conférence qu'il donna à Grenade le 12 février 1926, et plus tard à Madrid et à La Havane.

La translation de ce texte est de Michel Host, Prix Goncourt 1986, qui a donné la meilleure traduction à ce jour des "Romances gitanes suivies de Complainte funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías".

Les commentaires sont fermés.