29/03/2021
Une lettre d'André Breton à Mlle Ellenberger*, à propos de "Nadja"
Paris, le 19 septembre 1960
A partir du 12 mai dernier j'ai reçu moi-même un grand nombre de lettres d'une dame Quale, écrites de Norvège et se prétendant la "Nadja" que j'ai connue en 1926. Elles se sont d'abord suivies à la cadence d'une ou deux par jour puis sont devenues plus rares pour cesser de me parvenir il y a environ deux mois...
La cause principale de ce ralentissement doit être que j'y ai répondu à deux reprises, à assez long intervalle, pour dire à cette personne qu'en toute conscience et sans pour cela mettre en doute sa bonne foi je ne pensais pas qu'elle pût être celle qu'elle croyait. En dehors de certaines précisions qu'elle avait trouvées dans mon livre et qui avaient déterminé l'imprégnation que nous voyons, rien, en effet, de tout ce qu'elle apportait d'autre ne coïncidait avec mon souvenir. En particulier et cela suffirait presque, elle est norvégienne alors que Nadja était française (native, je crois, de Lille ou des environs).
Je crois que le vrai nom de Nadja devait être Hélène Delcourt.
Comme il y a déjà quelques années s'était déjà présentée à moi une personne se donnant pour Nadja (et qui était passée vers la même époque par l'asile du Vaucluse) je me demande si cette dame Quale n'est pas la même, je ne me rappelle plus si elle parlait couramment le français...
Nadja est entrée à Sainte-Anne en 1927 (sans doute entre mars et juin). La dernière trace que j'ai eue d'elle m'a été fournie par l'entremise du Dr Gilbert Robin alors que, je crois, elle avait été dirigée sur un asile du nord de la France. Le diagnostic, dont j'avais pu obtenir la communication, était celui de "démence paranoïde". Il m'importerait extrêmement de savoir ce qui s'en est suivi et ce qu'il est advenu de Nadja...
André Breton
* assistante du Dr Daumezon à Sainte Anne. Le Dr Daumezon, après avoir reçu lui aussi des missives d'une certaine dame Andersen, norvégienne, prétendant être Nadja, en a informé André Breton, qui en fait retour à Mlle Ellenberger, par lettre manuscrite.
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28/03/2021
"Comme passe le vent", de Philippe Pujas avec 3 dessins de Bernard Leijs, éditions La Feuille de thé, avril 2020, 168 pages, 20 €
Sous un ciel bas de pluie il me manque le feu
Qui entretient la vie
De ceux qui, comme moi, ont eu le soleil pour complice
Compagnon des enfances
Les hivers de lézard à l'abri des maisons
A la lisière des forêts
Me reviennent à l'âme
M'emplissent de la chaleur d'alors
Quand je croyais le bleu inépuisable
Ici, je vis de gris et cherche dans le ciel
L'espoir d'une trouée dans les nuages
Où viendrait se glisser un rayon de soleil
Comme un retour de feu ou l'espoir d'un matin coloré
C'était pourtant autre lisière, pas à ne pas franchir
A quelques lieues de là, par-delà la montagne
Les terres sont déjà d'un sud brûlant
Et si vous vous risquez à ignorer la sieste
Si l'impatience et ses folies
Vous jettent hors des frais abris
Vous en serez puni de foudre sur la tête
Mais nous savons cela
Le feu d'été nous le tenons au loin
Nous fermons nos fenêtres et nous assoupissons
En attendant que s'approche le soir
Et avec lui un soupçon de fraîcheur
Et nous savons n'avoir commerce avec le sud
Avec l'au-delà des montagnes
Que quand l'été finit et que s'installe
La douceur des automnes
Un soleil plus clément
Un feu que l'âge a assagi
Nous attendons dans notre chambre
A lire ou à rêver à nous bercer d'une mouche qui passe
Ponctuation du temps qui s'abolit
Mon aïeule fermait la porte
De rideaux de bouchons légers
Comme le vent de mer
Et nous les traversions comme une promenade
Vers des âges anciens
Et le bourdonnement d'alors
Me revient en écho
Dans celui d'aujourd'hui
Philippe Pujas
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26/03/2021
Salah Stétié, in Diérèse 30, été-automne 2005, 250 pages (textes d'Alain Suied, Richard Rognet, Salah Stétié, Werner Lambersy...)
Qui verra vivra
La poésie n'est pas un tapis volant. Elle a affaire avec la terre, avec le tuf. C'est là sa vérité, cette boue de l'être et de l'homme, et c'est à partir de cette boue-là qu'il faut à la poésie, cheminant, apprendre à inventer, à réinventer la transparence. Certains, dont je suis, ont besoin de cette transparence comme d'une fenêtre ouverte, pour respirer.
La langue française qui m'est si chère, à moi qui suis d'origine arabe, enraciné en Méditerranée sombre, a des pouvoirs inouïs de transparence. "Donner un sens plus pur aux mots", c'est aussi ajouter à la lumière. Non pas la lumière de l'intelligence seulement, mais celle aussi du puits obscur où l'on jette une torche - pour voir. "Qui verra vivra", dit la langue française, notre langue, dont je sais que, malgré les menaces qui l'assiègent, elle est faite pour vivre, liberté et poésie mêlées.
Les doigts
Je salue chacun de mes doigts.
Je salue chacun de mes doigts avec leurs ongles.
La main. Le bras.
Le bras comme un sarment arraché et l'autre bras aussi, le serment de leurs mains devant le serrement du cœur.
Les pieds aussi et leurs orteils. Les jambes.
La sève en elles vers un fouillis de violettes, ce lieu du songe.
Le ventre avec les intestins. L'estomac, le foie, les poumons.
Les autoroutes du cou. Le nez. Les yeux. Les dents.
La bouche avec sa voix. L'oreille comme une coquille.
L'éponge imbibée de tous les fonds marins, il suffit de presser un peu et ce sont pensées et images. Douleurs. Feux. Souvenirs.
Je regarde chacun de mes doigts et tous ceux-là, mes amis de toujours, ils veulent s'en aller, disent-ils, chacun seul, comme à la fin d'un colloque interminable.
Salah Stétié
Ndlr : ces textes n'ont pas été repris en livre.
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