241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/03/2021

"Le Destin des Yvarsen", de Marie-Anne Desmarest (1904-1973), éd. Denoël, 26/1/1959, 192 pages

Sur le marbre de la cheminée, une pendule Louis XVI rythmait l'écoulement du temps. Ide s'était retirée dans sa chambre. Thérèse demeurait seule dans le grand salon silencieux. Elle avait éteint toutes les lampes sauf une, sa préférée, à abat-jour de brocart. Enfoncée dans un fauteuil, un châle de soie sur les épaules, elle attendait le retour de Jan.
Que n'aurait-elle pas donné pour être avec lui ! Pour le seconder comme jadis. Elle aurait revêtu sa blouse d'infirmière et... Il lui sembla entendre la voix impérative de son époux.
- Alcool !
- Pincettes !
Thérèse se leva et gagna la chambre d'Ide. Elle y pénétra à pas feutrés. La jeune femme dormait la fenêtre ouverte, et la pâle lumière de la lune tombait sur l'oreiller où s'étalait son opulente chevelure blonde. Ide dormait, un sourire un peu nostalgique sur les lèvres. Thérèse resta de longues minutes à contempler ce spectacle tout de grâce et de pureté. Attendrie, elle se retira sur le pointe des pieds.
Quand elle rentra dans le salon, elle jeta un coup d’œil sur le cadran d'émail où les aiguilles dorées traçaient leurs cercles sans fin : il était deux heures du matin. A ce moment, elle perçut le bruit d'une clef dans la serrure d'entrée. Ce cliquetis métallique fit battre son cœur plus fort, plus rapidement. Jan rentrait ! Elle allait enfin savoir s'il avait réussi, ou bien si... Elle n'osa pas achever cette pensée, mais se hâta vers le vestibule. Cependant, arrivée sur le seuil, elle resta clouée sur place, saisie d'angoisse.
Jan était là, debout devant elle, méconnaissable. D'une pâleur spectrale, les narines pincées, des rides d'amertume creusées autour de sa bouche, son regard lointain passait au-dessus de Thérèse, semblait fixer d'inquiétants horizons de cauchemar.
- Mais..., balbutia Thérèse, effrayée par cette terrible métamorphose, que s'est-il passé, Jan ?
Lentement, très lentement, Jan baissa son regard sur sa femme et articula d'une voix rauque :
- J'ai perdu, Thérèse... Il est mort sous ma main.
Elle voulut parler, le calmer, mais il l'arrêta d'un ton cassant :
- Non, surtout ne dis rien !


Marie-Anne Desmarest

13:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Journal indien (poèmes)" : Daniel Martinez

Jhujhunu

Entre les acacias s'élève
un banian sur la gauche
et vole un milan puis un autre
volent mille ans tout au long
du muret de pierres


L'herbe rase d'en bas
les lances rousses des millets
ici ou là devenues
emmêlement d'algues
laissées par le jusant


Tout concourt
l'eau de sa peau
frôle ma peau
la rose des vents
le rond de la joue
un nouveau rivage


Le blanc immense
le blanc de l'aube
taché par un sourire feu
une haleine l'entoure
l'onde d'un chant
pare les bris de paille


Ton souffle retranscrit
Jhujhunu j'écris ce nom
de village dans l'Inde
qui s'éveille muette encor
deux hommes sommeillent
sur le toit d'une Jeep

Tempes battantes
écloses dans l'enclos
où sensibles s'embrasent
les feuilles des daturas
où flotte hagard
un drap de sisal
bleu acier sur bleu noir


Trois saris passent
redessinent les lignes
du demi-sommeil
pays premier


Du vermillon au jaune
les couleurs retrouvées
des mots anciens

en leurs soyeuses textures.


Daniel Martinez

 

10:10 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

06/03/2021

Sédiments, de Daniel Martinez

à Bruno Sourdin


Trois gouttes d'or dans les yeux
aux plis de l'horizon aux jeux
de la lumière ses tissus métissés
que vaut-il mieux dire
que la roche se disloque
en un champ de colza fleuri
ou que la matière noire
vienne se mêler à nos empreintes

quand d'une traite le printemps perce
les figures de l'hiver
qui bougent encore qui font signe
mortelles


Avec les ondes innocentes

la main spontanément balaie
les empreintes du passé
c'est la grande fabrique des émotions
brume et palpitations au rebours d'infortune :
la rétine accommode un ciel
qui file caressant de ses lèvres
le mouvement des braises
et des mots qui allègent l'espace.


Dans la contre-éclipse du cerveau entends
comme résonnent les vents
aux quatre points cardinaux
écoute la musique des émaux
défaire la chair du temps
entre les mille toits de la ville
seul importe cet air de rien
venu fondre les premières rumeurs
au sépia des chevelures ;
et le flou de la conscience
livrée au plus simple désir d'oublier
les chiffres du flux du reflux
sans demander quelle sera la fin.


Daniel Martinez
06/03/21