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Rechercher : Henri Thomas

Henri Michaux opus 2

Malgré le volume des trois tomes de La Pléiade consacrés à Henri Michaux, parus à La Pléiade, sous la direction de Raymond Bellour, Ysé Tran et Mireille Cardot & le travail des plus sérieux qui a présidé à cette impressionnante recollection des textes du poète dispersés aux quatre vents : en plaquettes, en revues, en programmes de théâtre, en catalogue d'expositions, en dactylogrammes, en livres - deux articles, n'ont pas été repris dans la prestigieuse collection, articles dont je vais vous donner lecture ici-même.

Voici  donc les deux articles parus dans la revue Les Nouvelles littéraires n°2882, 14-20 avril 1983, en page 45 - deux livres de jeunesse commentés par leur auteur :

"Pour Ecuador, 1929

ECUADOR : un départ pour la république de l'Equateur, un séjour de huit mois, un retour en pirogue sur le Napo, et en bateau par l'Amazone.

La plupart des voyageurs béent d'admiration quand ils croient qu'il convient de béer. Et les plus froids se fouettent pour écrire quelques mots sur les spectacles "importants".

L'auteur de ce livre n'a pas fait cela.

Il ne dit pas un mot du canal de Panama, et il lui arrive de parler d'une mouche. Il ne s'est jamais préoccupé d'être juste et impartial envers les choses, il s'est seulement préoccupé de l'être envers ses impressions.

Et s'il y a des poèmes dans ce livre, ils veulent être aussi sincères. Ils ne se croient pas supérieurs."

                                                                          Henri Michaux

* * *

Pour Un barbare en Asie, 1933

L'auteur de ce livre, étant enfant, allait dans le jardin observer les fourmis. Il les mettait sur une table, ou lui-même s'allongeait par terre, se mettant à leur niveau.

Ce voyage dura des années pendant lesquelles il ne fut guère intéressé par autre chose.

Cette fois l'auteur a été en Chine et aux Indes, et aussi, quoique moins longtemps à Ceylan, au Japon, en Corée, à Java, à Bali, etc.

Il n'a pas observé les fourmis, qui cependant abondent, mais les races humaines.

Comme il est naturel, il s'est tenu à l'écart des Européens, et a tenté de disparaître dans la foule étrangère. Il a attrapé des poux dans tous les théâtres d'Asie. Il connaît, pour y avoir été quantité de fois, le théâtre chinois, japonais, hindoustani, bengali, coréen, malais, javanais, etc... il a vu les films japonais, chinois, bengalis, hindoustanis. Il a entendu la musique, les danses indigènes.

Il a assisté aux prières, il s'est approché des temples, des lieux saints, des prêtres de toutes les religions.

Il a lu ou bien relu les ouvrages des philosophes, des saints et des poètes, il a étudié ou parcouru la grammaire de chaque langue et son écriture.

Enfin et surtout il a regardé "l'homme dans la rue", comment on rie, comment on se fâche, comment on marche, comment on fait signe, comment on commande, et comment on obéit, les intonations, la voix, les attitudes, les réflexes (tout ce qui ne ment pas).

Il s'est ainsi enfoncé dans la peau des autres. Toutefois, dans la peau d'un Chinois, il reste lui-même et souffre et regimbe, il souffre dans la peau de l'hindou, il souffre dans la peau d'être homme et de ne pas trouver la Voie. Et tout en souffrant il montre de l'humour, comme on fait, comme tant d'autres ont fait..."

                                                                          Henri Michaux

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21/04/2016 | Lien permanent

Henri IV, le ”Vert Galant”

         François-René de Chateaubriand, écrivain et homme politique, publia le texte, dans son Congrès de Vérone (1838), d'une lettre non datée adressée par Henri IV à Monsieur de Saint-Gelais. Il le faisait afin d'en proposer la comparaison flatteuse avec des lettres que lui-même avait reçu des souverains de son temps : "nous aimerions mieux avoir reçu de Henri IV, ce billet dont nous possédons l'original [...]. Le Béarnais ne se prend pas au sérieux, comme les potentats nos illustres correspondants : il se moque de lui, de ses légèretés et de ses couronnes" (T. II, p. 202). Voici un extrait de cette (superbe) lettre :

"Monsr l'aumonyer, je me rejouys avec vous de quoy vous estes maryé.
Il ne faut parller d'estre amoureus car il ne siet pas bien au gens mariés d'avoyr mettresse. Pour ce que je me gouverne aynsyn, je conseille à tous mes amys et servyteurs de fayre le samblable.
Vous an croyrés ce qu'il vous playra. Bien vous prieré-ge de fayre estat de plus que de personne du monde je desyreroys fort vous voyr & vostre cousyn St-Preu. Mon amy, aymés-moy bien tousjours, vostre plus asseuré amy à jamays Henry".

En 1599, le roi avait fait annuler son premier mariage avec Marguerite de Valois, dont l'inconduite était notoire, et il se remaria l'année suivante avec une princesse italienne fort riche, Marie de Médicis, qu'il ne cessa de tromper. Les liaisons les plus célèbres du "Vert Galant" furent Gabrielle d'Estrées, Henriette d'Entraygues, Jacqueline de Bueil, Charlotte des Essarts. Il laissa quatre enfants légitimes : Louis XIII, Elisabeth (qui épousa Philippe IV d'Espagne), Gaston d'Orléans et Henriette (mariée à Charles 1er d'Angleterre).

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03/09/2014 | Lien permanent

Le poème du jour : Henry Rougier

ROUGIER BLOG.jpg

Boudeuse une statue
De clématite a soulevé le soir

Si lentement

Que l’on dirait d’un livre qui s’apaise
Et dont le souffle entre les mots n'arpente
Qu’un semblant d’éclair entrevu

Boudeuse une statue
De clématite arase la mémoire

          Mais lui dont j’entendais le front
          Feuilleter l’écho d’une vie
Dont je voyais les yeux cogner du poing
Lorsqu’une rose (entre deux hoquets de maïs)
Excédée d’être n’était plus
Que le leurre de sa merveille

Lui qui tremblait s’attisait dans le feu maussade
Pour étouffer le ricanement des verrous

Lui qui s’ouvrait d’un coup comme une porte
Avide                       O lui
Que malmenait l’aorte d’un ruisseau
Quand ses paumes en crue
Soulevaient un nid d’incendies

Lui que sa fuite avant l’aurore
Démantelait comme toujours
Devant un pont-levis                      jeté
                               Sur une odeur de femme

Lui qui de nouveau pleure et soulève le soir
Pour rien
                          Dans la statue boudeuse


                                   Henry Rougier

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19/01/2016 | Lien permanent

Henri Michaux, ses constantes résurgences

Dans le journal Combat, du 21 juin 1951, Justin Saget publie une lettre ouverte de Henri Michaux. Il y expose les raisons de sa non-acceptation des prix littéraires. Les curieux se reporteront au deuxième tome de La Pléiade* pour y lire ce texte magistral.

Pendant l'été (22 août 1951), il écrit au critique Maurice Saillet :

"Non, les vacances des autres ne me donnent pas de blé. Et si l'on s'informe de farine, les moulins savent ce que ça veut dire, et ne répondront pas plus qu'ils ne tournent, c'est-à-dire peu. Mais les premiers sacs n'ont pas été brûlés, ils ont résisté à l'examen aussi pourrait-on sans risque parier sur l'ensemble. Je suis peiné pour Sylvia**, dont la sœur, même si elle n'avait eu que la moitié de son charme, doit être bien pleurée. Amitiés à Sylvia, à Adrienne (Monnier, ndlr) et à vous, admirable Savoyard. Quelle veine de respirer dans les chaumes l'air de Boëge. H.M"           Cette lettre est inédite.

En automne, Michaux publie à Paris, chez un éditeur de ses amis qui restera anonyme, "Quelque part, quelqu'un", un opuscule de 26 pages, imprimé à 15 exemplaires. C'est en fait la reprise (avec quelques corrections) de 7 pages publiées par la NRF en octobre 1938 (n°301).

Il dessine à l'encre par des gestes aléatoires, de nombreuses pages de "signes", il en verra publiées soixante-quatre dans son fameux livre "Mouvements" (32 x 24 cm), pour les exemplaires de tête sous enveloppe et boîte titrées par l’éditeur, René Bertelé, Le Point du Jour, 1951. Esthétique de la vitesse...

La galerie Rive Gauche l'expose à Paris ("Mieux connaître Henri Michaux"). Il s'intéresse à Pierre Boulez.

                                              

DEDI MICHAUX.jpg

Page de garde de l'exemplaire d'Exorcismes (1943) dédicacé à René Bertelé : "Que les sorciers et quelques autres de leurs EXORCISMES vous aident... ou au moins de leur stimulation Avec l'amitié de Henri Michaux"  

*Bibliothèque de La Pléiade, NRF, Gallimard :

   Tome I   (œuvres de 1927 à 1947), 1998
   Tome II  (œuvres de 1948 à 1959), 2001
   Tome III (œuvres de 1960 à 1984), 2004

_________

    **Sylvia Beach, qui vient de perdre sa sœur

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20/02/2021 | Lien permanent

Frottage de Henri Michaux

http://diereseetlesdeux-siciles.hautetfort.com/media/02/01/2581014383.jpg

 

          "Les mots déroulent des rubans d'ombre
           autour de la clarté reconquis"
           Edmond Jabès, Les mots tracent

Entre l'oiseau qui se pose et celui qui tente de s'envoler, il y a ce pacte si secret entre nous que nous avons peur parfois de le briser l'espace d'un regard et cette tentation de confondre par le geste ta liberté à la mienne. DM

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30/05/2018 | Lien permanent

Henri Michaux critique

Henri Michaux fut aussi critique, il me semble bien que La Pléiade n'a pas reproduit cet article dans le premier des trois tomes consacrés au poète, note pourtant parue dans la NRF d'avril 1935, n°259, p. 637. Est-ce que les rédacteurs actuels de notre presse dite "libre" laisseraient passer cette recension, malgré la grande verve moralisatrice qui nous vient d'outre-Atlantique ? Poser la question, c'est déjà y répondre... Amitiés partagées, DM

Moeurs et coutumes des basses classes de l'Inde, par le général Georges Mac Munn (éd. Payot) :

Un général, commandant aux Indes, est exposé à recevoir une lettre une lettre comme celle-ci :

"Monseigneur,

Pendant quinze ans, j'ai été femme pour soldats britanniques et personne ne s'est jamais plaint de moi. Maintenant, B..., ce sergent de bazar, m'accuse d'"impureté".
"Si votre seigneurie veut arrêter cette injustice, je prierai toujours pour sa prospérité.
Toujours de votre Seigneurie la prostituée fidèle

Habida

     J'imagine qu'une lettre pareille est capable de faire réfléchir un officier britannique à certaines choses, qui, pour lui, en Angleterre, fussent toujours restées dans l'ombre.
     Le général Munn donne même l'impression d'être mieux informé des mœurs réprouvées et des classes méprisées des Indes que de celles de Grande-Bretagne. Mais il manquait sans doute de relations personnelles dans ces milieux, car son livre, involontairement "de haut en bas", malgré un ton loyal et simple, ne contient guère d'informations de première main.

Henri Michaux

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05/06/2018 | Lien permanent

Chantal Thomas interviewe Bertrand Leclair

Bertrand Leclair : ... Je vis dans l'obsession de la construction d'une parole singulière qui me permette d'exister dans la langue collective, mais quant à savoir si c'est ou non une utopie... Je crois que la leçon que l'on peut tirer de Proust - si leçon il y a - c'est quand même celle-ci : tout le monde peut trébucher sur un pavé mal équarri, par contre la difficulté est de conserver la possibilité de se laisser déséquilibrer, dérouter par le pavé... Peu importe le pavé, l'important c'est tout ce qui précède, c'est-à-dire la lutte pour les chimères, la lutte jusqu'au tréfonds du désespoir qui est celle que Proust décrit, pour des choses qui semblent des chimères, jusqu'au jour où elles deviennent réalités. Dans la vie courante, ça peut advenir à condition qu'on soit toujours dans une mise en jeu de sa parole, que justement on puisse être dérouté. Et on ne peut l'être que si l'on ne s'est pas installé de barrière de sécurité.

Chantal Thomas : Lorsque vous parlez de barrière de sécurité, vous pensez à quoi ?

B. L. : Par exemple, à tout ce qui, dans les années 80 en particulier, s'est instauré via le monde de l'entreprise, et dont on parle peu aujourd'hui parce que c'est devenu une norme. Mais c'est un phénomène qui existe toujours autant et a même tendance à se généraliser en dehors du monde de l'entreprise. C'est toute une conception du travail, du rendement, d'une parole atrocement limitative, où il s'agit seulement d'obéir à des circuits de communication en dehors desquels il n'y aurait rien. Pour reprendre la distinction de Bataille entre communication forte et communication faible, la communication faible on nous la propose en permanence, la communication forte est devenue presque impossible.

C. T. : Kafka est très présent dans votre essai (Théorie de la déroute, éditions Verticales) comme une sorte d'injonction vive.

B. L. : Kafka est une figure qui me déroute sans cesse, ne serait-ce que par sa capacité à raconter, au-delà du point où on ne peut plus raconter. Ca reste un mystère. Comme la manière dont il réussit à imposer une vérité onirique contradictoire avec la vérité rationnelle, et pourtant tout aussi vraie.

C. T. : Est-ce pour vous un type d'écriture ou une disposition à écrire très différente, un essai ou un roman ?

B. L. : C'est très différent, parce que la question de l'adresse est fondamentale. Écrire, c'est créer son lecteur. Et la façon de créer son lecteur dans un essai ou un roman diffère. Par ailleurs, écrire, c'est chercher. Et il est évident que je cherche la même chose dans l'écriture de l'essai et dans celle du roman.

C. T. : C'est quelque chose qui m'a frappée dans votre texte : le rôle que vous donnez à la lecture. Lorsque vous écrivez Lire, écrire, j'ai l'impression que lire n'est pas passif, mais est une activité aussi créatrice qu'écrire.

B. L. : Un livre n'est pas un objet, c'est quelque chose qui témoigne d'un parcours. Ce que l'on n'accepte pas très bien lorsqu'il s'agit d'auteurs anciens, personne ne semble s'en souvenir lorsqu'on lit des contemporains. Par exemple, si on lit Guyotat il y a un travail, une altération qui se joue dans la langue et de livre en livre. Et cette transformation n'est pas un processus solitaire, elle est aussi le fruit de la façon dont ont été lus ses livres précédents, et reçues ses lectures publiques. Guyotat reprend le pari de Rimbaud d'écrire une langue qui soit "de l'âme pour l'âme"... Rimbaud, Guyotat, ce sont les plus singuliers des écrivains. Pourtant leur point de départ est tout sauf autiste. Ils sont dans une quête de l'autre - dans une soif, sans apaisement possible. Plus la langue s'altère, plus la difficulté est grande d'être désaltéré.

C. T. : La soif et la rage, ça va ensemble ?

B. L.  : Oui, et le confort de notre monde occidental actuel procure une certaine douceur, mais cette douceur-là, lénifiante, a un prix. Elle nous supprime, s'il est vrai qu'on ne peut être au monde qu'à l'éprouver, qu'à ne pas se protéger de ce qui fait mal. Jamais la liberté n'a été aussi grande potentiellement, en même temps que pratiquement inaccessible, parce qu'elle implique le refus de ce confort.

C. T. : On peut aussi non pas se situer contre, mais à côté...

B. L. : ... dans la marginalité, mais celle-ci se réduit sans cesse.

C. T. : Vous êtes sensible à la présence contemporaine d'un écrivain en train d'écrire, dans la même ville que vous, tandis que vous le lisez. C'est une idée originale et très belle de votre livre.

B. L. : A travers une sensation de deuil, c'est quelque chose que j'ai éprouvé fortement à la mort de Nathalie Sarraute. J'ai ressenti (avant de le penser) : Elle n'est plus là en train d'écrire. Elle était le garant d'un espace où la langue ne peut pas se refermer dans l'espace commun - un espace définitivement ouvert.

C. T. : C'est ce que dit Ouvrez, justement, le dernier livre de Nathalie Sarraute...

B. L. : Il y a les livres qui me donnent envie d'écrire, et les autres. Et ça correspond à des enjeux véritablement politiques. Il y a la langue qui bouge, qui est vivante, qui fait bouger la mienne. Tout d'un coup dans mon dictionnaire personnel, il y a un trou et, par ce trou, la vie arrive.

C. T. : C'est une manière de dire oui ?

B. L. : Oui (rires), la parabole de Nietzsche du chameau qui doit devenir lion avant de pouvoir enfin dire oui est indépassable. Ce oui se joue dans l'instant. Il relève du temps vertical, qui a longtemps été contrôlé par la religion. Aujourd'hui nous sommes débarrassés de la religion et c'est une forme de liberté extraordinaire, sauf que cette dimension verticale était tellement associée au religieux que plus aucun espace ne lui est laissé, alors que c'est la seule dimension dans laquelle l'être puisse s'exprimer pleinement.

C. T. : Elle peut aussi donner le vertige, faire chuter dans un égarement hors langage, une souffrance sans appel.

B. L. : Oui... Je pense qu'il y a deux questions qui me travaillent : celle du temps vertical et du temps horizontal, et puis la question : Comment conserver de la singularité sans renoncer à l'autre ? Parce qu'on peut, en effet, s'enfermer dans une singularité qui supprime toute altérité. Il n'y a plus d'autre ni au-dehors, ni en soi-même.

C. T. : Lorsque vous parlez de ce confort, cela concerne surtout des gens qui n'ont pas l'imagination de l'autre en eux, mais cela peut aussi être l'inverse : toucher des gens trop fragiles, trop menacés, des gens qui ne pourraient s'approcher d'une zone de perdition sans sombrer.

B. L. : C'est là où la littérature sauve (pour employer un grand mot !), parce qu'elle fait exister un territoire de danger où l'on peut s'aventurer. Elle transmet des traces, des témoignages de quêtes et d'égarements, grâce auxquels on peut aller plus loin sans devenir fou de solitude.

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04/12/2020 | Lien permanent

Henri Murger (1822-1861)

L'histoire littéraire n'aura pas accordé à Henri Murger, écrivain romantique mort à trente-neuf ans, et qui fut secrétaire de Tolstoï, la place qu'il aurait méritée. Soutenu par Nerval, il connut à l'époque certain succès, après des débuts misérables. Son œuvre symbolisant une jeunesse insouciante et heureuse devait inspirer à Puccini son opéra La Bohême. Il a écrit, en 1854, deux recueils de poésie : Ballades et fantaisies et Les Nuits d'hiver. Vous pouvez lire chez Gallimard Scènes de la vie de bohême (rééd. 1988).

 

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Voici pour l'heure une ébauche d'un passage du premier chapitre de Scènes de campagne, livre paru en 1854. Henri Murger a réutilisé des éléments de ce texte pour écrire l'arrivée du peintre Lazare à Montigny-sur-Loing :

Au milieu de la campagne, qui s'étend à l'extrémité orientale de la forêt de Fontainebleau, on rencontre un petit village appelé Montigny. Cet endroit qui n'offre au reste aucune curiosité locale, se compose d'une centaine de maisons bâties en éclats de grès tirés des carrières des environs en exploitation dans la forêt, et la plupart recouvertes de chaume, les habitations espacées les unes des autres par de petites ruelles où croissent les herbes folles, et les raisins bordent une rue unique dont la partie basse aboutit à un pont de bois, jeté sur la rivière du Loing dont les eaux baignent une lieue plus haut les ruines d'un château bâti par la reine Blanche, et deux lieues plus bas, les tours et les remparts de Moret où résida François 1er. Vu du côté de la rivière, le petit village de Montigny offre un charmant motif de paysage aux artistes qui fréquentaient ses environs. Rien n'y manque, ni le clocher de l'église, ni la roue... du moulin dont le tic-tic se mêle aux bruits sonores du battoir des laveuses.

                                                                           Henri Murger 

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09/03/2017 | Lien permanent

Unica Zürn, fascinée par Henri Michaux

Après Lee Krasner, qui fut la compagne de Jackson Pollock (note blog du 25/7/21), l'histoire d'un amour déçu, cette fois entre deux auteurs-plasticiens :

Peut-on toute sa vie être cloué par un simple regard ? Il faut imaginer ce que cela signifie : tout ce que l'on a vécu, tout ce que l'on vivra est incendié par le moment où l'on croise ce regard. L'avenir en portera les conséquences, mais le passé n'a été vécu que dans cette attente. Cet instant, celui de la rencontre, n'est plus une simple épiphanie mais bel et bien un ravissement. Ce regard, cet éblouissement, se produit en 1957, lors de l'une des très nombreuses soirées organisées par le groupe surréaliste, Unica Zürn voit Henri Michaux. Et elle bascule, comme une crise d'épilepsie sans les spasmes, elle est littéralement éblouie. Plus tard, dans son roman L'Homme-Jasmin, sous-titré Impressions d'une malade mentale, elle reviendra sur le surnom qu'elle invente pour évoquer le poète, l'Homme Blanc : "[...] comment pourrait-elle l'appeler autrement, lui qui émet les insoutenables rayons de l'inquiétante blancheur ?" Cette rencontre quasi fortuite, deviendra l'un des indénouables nœuds de la vie d'Unica Zürn. Un pieu indéracinable. Michaux, elle l'avait lu, elle avait été impressionnée par Connaissance par les gouffres, sans doute était-elle intimidée à l'idée de le rencontrer. L'homme était on ne peut plus discret : grand, osseux, haut front dégarni ; les rares photographies prises de lui témoignent de son austère froideur. En étudiant attentivement la biographie d'Unica Zürn, on comprend qu'elle attend depuis toujours cette rencontre. Lorsqu'en 1953 elle tombe amoureuse de l'artiste surréaliste Hans Bellmer à Berlin, elle a 37 ans et elle déjà vécu bien des vies : jeunesse dorée, scénariste puis autrice de films publicitaires, mariée, mère de deux enfants dont elle perdra la garde puisque - lassée des infidélités de son époux - c'est elle qui demandera et obtiendra le divorce, autrice de nouvelles et de fictions radiophoniques, elle dessine également à ses heures perdues. Si Unica Zürn rayonne, elle lutte en permanence pour contenir ses fantômes : les enfants qu'elle ne voit plus, l'adolescence parmi les dignitaires nazis après que sa mère (divorcée elle-même) s'est remariée à un ministre du président Hindenburg qui deviendra un des hauts cadres du IIIe Reich.

Autre trait de sa personnalité : elle a toujours aimé jouer avec les mots, a composé toute sa vie des anagrammes, et elle est fascinée par les initiales. Arrivée en France, Bellmer la présente au groupe surréaliste. Ils vivent mal, avec peu. A l'hôtel Minerva, elle a l'un de ses fréquents éblouissements : les initiales de l'hôtel, HM, sont celles de son auteur fétiche : Herman Melville. Elle retrace dans L'Homme-jasmin une autre de ces coïncidences qu'elle interprète comme un signe (mais n'était-ce pas là l'un des traits de la pensée surréaliste ?) : "Puis on l'emmène plus loin dans une petite galerie d'art. Devant la porte se trouve une enseigne sur laquelle elle lit les deux majuscules : H. M."
Tout était en place pour que la rencontre avec H(enri) M(ichaux) soit un séisme. "Mais avec l'apparition de l'Homme Blanc en chair et en os [...] avec son apparition la folie a commencé", écrit-elle toujours dans L'Homme-Jasmin. Et, effectivement, c'est en cette même année 1957 que ses névroses vont commencer à la consumer. Lors d'une crise schizophrénique, elle fait une première tentative de suicide. A partir de là, elle sera internée régulièrement : à Paris, à Neuilly-sur-Marne, à La Rochelle. Et le 19 octobre 1970, alors qu'une autorisation de sortie lui sera accordée, elle se rendra chez Bellmer et, plus fragile et légère que jamais, se jettera par la fenêtre.
Et Michaux ? Qu'en sera-t-il de cette rencontre pour lui ? On sait qu'il visitera régulièrement Unica Zürn lors de ses internements, qu'il lui offrira de quoi dessiner ainsi qu'un carnet orné d'un poème manuscrit :
      "Cahier de blanches étendues intouchées
      Lacs où les désespérés, mieux que les autres
      Peuvent nager en silence
      S'étendre à l'écart et revivre".
On sait qu'il est également celui pour lequel L'Homme-Jasmin a été écrit : "C'est lui qui l'encouragea à terminer son manuscrit." On sait que jamais elle ne cessa de penser à lui.
Dans la monumentale biographie qu'il a consacrée à Henri Michaux, Jean-Pierre Martin évoque la fascination du poète pour les esprits fragiles et perturbés. Il se trouve que ces esprits soumis aux "états torturants" ne manquent pas, et qu'ils sont en grande majorité féminins. Que l'on juge : au fil du temps, Michaux prendra soin de Greta Masui (la femme de Jacques Masui, directeur de la revue Hermès), de May (l'épouse du peintre Zao Wou-Ki), de Bona de Pisis, et d'Unica Zürn bien entendu. Le point commun entre toutes ces femmes ? Leur internement pour raison psychiatrique. C'est Jean-Pierre Martin qui parle à leur propos de "femmes-lianes", empruntant l'expression à l'unique texte où Michaux évoquera le décès de son épouse, Marie-Louise Termet, qualifiant son amour de liane.
La psychanalyse, qui se penchera sur l'œuvre et la vie d'Unica Zürn, profitera du divorce de sa mère pour voir chez elle une recherche névrotique du père. Et si l'on considère que HM = H(enri) M(ichaux) = l'H(omme) B(lanc) = HB = H(ans) B(ellmer), on a de quoi jouer. D'autant plus que le regard sera obsessionnellement présent dans les dessins d'Unica Zürn (qui seront étrangement qualifiés d'art brut, sans doute parce que le surréalisme est une affaire sérieuse de messieurs). Laissons la psychanalyse de côté, la fascination pour l'Homme Blanc est puissamment érotique. Unica Zürn écrit des récits autobiographiques à la troisième personne ; dans les Lettres imaginaires, une dame parle à un monsieur : "Je ne crois pas du tout à votre désir d'être avec moi. Cependant, j'ai un secret : lorsque vous travaillez à m'anéantir en vous et à m'éliminer de vous, vous avez trouvé bon de dormir, étendu, toute une nuit à l'intérieur de mon corps, pendant que, moi aussi, je dormais. Je dirais que ce fut votre réconciliation avec moi. Ce qui m'a fait du bien c'est le manque de lubricité dans votre effort d'anéantissement." L'attirance érotique conduit à une destruction qui jamais ne s'incarne. C'est sans doute en cela que Michaux fascinait : ce qu'il cherchait auprès des femmes prêtes à l'emprisonner de leurs désirs amoureux tentaculaires n'était pas charnel : lui qui a attendu toute sa vie de mourir tôt en raison de sa malformation cardiaque, lui qui n'a cessé d'être attiré et repoussé par la psychanalyse et qui a fait de son existence un objet d'étude, ne cherchait-il pas simplement à jeter un regard dans les gouffres d'où il espérait saisir une connaissance ? Pour l'heure, nous sommes en 1957, Unica croise le regard d'Henri, et quelque chose vacille qui appartient dorénavant à l'histoire de l'art et de la littérature.

Eric Pessan

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02/08/2021 | Lien permanent

Thomas Mann écrit à Maurice Delamain

Mario et le magicien est une pièce tragi-comique écrite et publiée par Thomas Mann en 1930. C'est l'histoire d'une famille en vacances dans une station balnéaire de l'Italie fasciste et qui est au cœur d'un drame noué lors du spectacle d'un hypnotiseur, le chevalier Cipolla. Cette nouvelle fera l'objet d'une traduction française par André Gaillard parue à Paris chez Stock en 1932. La lettre qui suit a été adressée à Maurice Delamain, des éditions Stock.

Pour vous aujourd'hui, la traduction de cette missive inédite du romancier :


"Les quatre exemplaires annoncés de Mario sont arrivés entre temps, et les petits volumes ornés me font bien plaisir. La traduction, que j'ai déjà découverte par sa publication dans la Revue franco-allemande, me semble bien réussie, et je vous prie de transmettre mes remerciements au traducteur.
Une édition italienne de la nouvelle s'exclut pour des raisons certaines. En Italie, on l'a maintenant d'abord découverte dans son édition française, et la presse fasciste ne s'en est pas peu irritée. Elle déclare comme complètement impossibles les événements qui y sont décrits humoristiquement ; et en même temps, ils se sont produits exactement ainsi dans la réalité.
D'ailleurs, il est loin d'être à mon goût de voir cette nouvelle comprise comme un manifeste politique direct. L'identification du chevalier Cipolla avec Mussolini a naturellement et certainement une légitimité intérieure secrète, mais, exprimée de manière directe, va pour moi bien trop loin.
En fin de compte, il s'agit dans ce récit d'un problème plus moral que politique. Mais bien entendu tout cela se mêle sans frontière de nos jours.
Je souhaite au petit livre le meilleur succès en France..."



Thomas Mann

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06/03/2020 | Lien permanent

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