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Rechercher : henri Michaux

De Diérèse opus 63 au comte de Lautréamont (1846-1870)

       Tout d'abord, des nouvelles du nouveau Diérèse, le numéro 63. La maquette est presque prête ; l'après-midi quasi caniculaire m'a incité à "tracer" comme l'on dit en ski, et à éviter plus que tout l'endormissement – ce qui ne fut pas chose aisée. Voici déjà les deux pages du sommaire, que je vous laisse découvrir. C'est l'occasion de remercier ici Isabelle Lévesque pour son aide précieuse à la confection de cette livraison, étoffée pour le moins et qui ne manquera pas de susciter des commentaires. Mais de grâce, patientez encore pour l'impression proprement dite de ce numéro. Merci pour votre attention. 

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Les Chants de Maldoror

Vous n'êtes pas sans savoir que Genonceaux, l'éditeur d'Isidore Ducasse (comte de Lautréamont), suspendit la première édition des "Chants de Maldoror", effrayé sans doute par le caractère sulfureux de l'ouvrage. Ce ne fut qu'à la deuxième édition, tirée à seulement 150 exemplaires, que le fameux comte de Lautréamont gagna certaine notoriété. C'est l'édition de 1890 qui fit monter Léon Bloy sur ses grands chevaux et provoqua sa tonitruante réplique dans "Le Cabanon de Prométhée", plus tard incluse dans Belluaires et porchers (1905). Mais elle est aussi, ne l'oublions pas, l'édition "pataphysique" de référence, celle que Jarry avait sous les yeux quand il écrivait son inénarrable "Faustroll"... Lecture qu'affectionneront de même, comme il vous a déjà été dit (voir note blog du 8/6), Henri Michaux et Marie-Louise Termet qui, "le soir, se lisaient à voix haute Lautréamont".

Cette seconde édition est illustrée en frontispice d'une gravure macabre de José Roy, avec un fac-similé, et une préface de l'éditeur. Le plus étonnant pour nous, ce sont les efforts de Genonceaux, dans cette préface, pour prouver qu'Isidore Ducasse n'était pas fou. Léon Bloy venait de dire que l'auteur des CHANTS était mort à l'asile. Genonceaux, donc, fait appel à un graphologue pour analyser l'écriture d'une lettre de Ducasse à son banquier Darasse. Diagnostic : Lautréamont était un logicien de premier ordre. "Mon corps fera une apparition devant la porte de votre banque" écrit Isidore à son banquier. On ne sait pas assez que ce dernier habitait au 5 rue de Lille, dans le 7e arrondissement de Paris, c'est-à-dire précisément là où, un siècle plus tard, officiera Lacan, qui nous apprend que : "Le style c'est [...] l'homme à qui l'on s'adresse" (sic). Une plaque, selon moi, désormais, s'impose : "Lautréamont, en 1870, venait retirer son argent ici." Allez-y voir, si vous ne voulez pas me croire. 

                                                                  Daniel Martinez

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18/07/2014 | Lien permanent

« De grandes libertés de langage - à propos des ”écrits bruts” », de Pierre Dhainaut, éditions à bruit secret, mai 2001,

Ce livre est un peu un mystère, puisque je ne le vois pas figurer dans la bibliographie de Pierre Dhainaut. Il est pourtant, à mon sens, d'importance et mériterait que la critique s'y intéresse de plus près. Il s'agit en fait de la publication en livre de la conférence donnée le 12 mai 1997 au Musée d'art moderne de Lille Métropole-Villeneuve d'Ascq, dans le cadre de l'exposition Art Brut, Collection de L'Aracine.
En voici un extrait :

*
"Qui cache son fou meurt sans voix."
Henri Michaux


Bien qu'il soit de bon ton désormais de la marchander, notre dette à l'égard du surréalisme est immense. Il n'a pas, que je sache, contribué à la divulgation des textes des malades mentaux comme il le fit pour leurs dessins ou leurs assemblages, mais Breton très jeune fut alerté par leur comportement. Bien avant d'écrire avec Eluard L'Immaculée Conception qui comporte cinq "essais de simulation" (de la débilité mentale, de la manie aiguë, de la paralysie générale, du délire d'interprétation et de la démence précoce), il avait publié dans une revue, en 1918, un poème qui est resté méconnu, Sujet : il y parle à la place d'un de ces soldats qu'il soigna quand il se trouvait au Centre neuropsychiatrique de Saint-Dizier et qui se croyait le metteur en scène de la guerre. C'était montrer que la connaissance objective est insuffisante et que rien ne vaut l'expérimentation. 
Quant à l'"automatisme psychique pur" qui définit le surréalisme dans le premier Manifeste, certains historiens ont cru que Breton avait emprunté l'expression, sinon la notion, au docteur Janet : quand Janet invoque l'automatisme, il le fait toujours en termes de déficit, il s'agit pour lui de comportements - le somnambulisme, par exemple - qui sont la reproduction dégradée d'une activité antérieure. Tout autre l'écoute de l'inconscient que recommande Breton. S'il emprunte, c'est à Freud. C'est aussi à Théodore Flournoy. Breton nous a appris à prendre en considération l'activité esthétique des médiums. Il avait été envoûté, le mot n'est pas trop fort, par Hélène Smith, la "prodigieuse", qu'il connaissait par l'intermédiaire de l'ouvrage de Flournoy paru en 1900, Des Indes à la planète Mars, "étude", précise le sous-titre, "sur un cas de somnambulisme avec glossolalie". Ce cas mériterait que l'on s'y attarde, je m'en tiendrai à quelques brefs rappels. Hélène Smith, entre autres, inventa tout un roman qui lui permit d'aller sur Mars, de décrire ses paysages ainsi que de parler et de comprendre sa langue. Textes et dessins sont reproduits par Flournoy qui distingue avec soins les différentes formes d'automatisme ayant permis de les obtenir, verbo-auditif, vocal, verbo-visuel, graphique. Breton reprendra cette terminologie. Le martien, aux yeux mêmes de Flournoy, n'est qu'un travestissement du français et son alphabet une imitation de notre système d'écriture, et mieux vaut ne pas insister sur les ingrédients du récit : ce qui est en jeu, c'est le besoin de créer des mots. Ce besoin que dénonçait un Lombroso, Hélène Smith le pousse au paroxysme, par les hallucinations de l'ouïe, par les visions spontanées, par la transe qui guide la main, et du même élan, avec les sons et les significations, elle invente leur graphie. "Néographie", un symptôme encore pour les psychiatres de jadis. Les poètes surréalistes en pratiquant l'automatisme verbo-auditif, le plus riche selon Breton, se contentèrent - à de rares exceptions près - du vocabulaire établi et ne rêvèrent pas de nouveaux alphabets. Ils ne touchèrent pas davantage à la syntaxe. A dessein, parce qu'une autre approche serait nécessaire, je ne dirai rien de celui qui apporta au surréalisme naissant toute sa violence et toute sa lucidité : qu'il me suffise de prononcer le nom d'Artaud.


Pierre Dhainaut

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27/07/2021 | Lien permanent

Le catalogue complet des éditions Marchant Ducel (alias Franck André Jamme). Deuxième partie

Ma fille Gaëlle me reprochait ce matin même d'avoir interrompu son rêve car elle y était au ciel "où [elle] avai(t) pied" ! Pour compenser au mieux ce manque, je lui ai montré cette miniature newari (aussi curieuse qu'émerveillée à sa vue), peinture qui n'est pas sans rapport avec...

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... la suite du catalogue des éditions Marcel Duchamp, pardon: Marchant Ducel (avec un clin d’œil à Bruno).

Deuxième partie :

11. Franck André Jamme. Conques, Bannières, Feuilles sacrées.
21,5 x 15 cm, 40 pages, 75 ex. sur Népal, dont 20 rehaussés d'une miniature newari, imprimé en décembre 1983 par Thierry Bouchard, Losne ; coédité par Thierry Bouchard. E.O.

12. Henri Michaux. Fille de la montagne.
17 x 21 cm, 28 pages, 60 ex. sur Larroque, avec quatre peintures tantriques, imprimé en mai 1984 par Gilles Couttet, Le Pontet. E.O.

13. Philippe Denis. Souci de nuage.
15,5 x 15,5 cm, 20 pages, 36 ex. sur Larroque, dont 12 avec une aquarelle de Lucie Ducel, imprimé en décembre 1984 par Franck Meyer, Paris. E.O.

14. Gérard Macé. Les petites Coutumes.
12,5 x 12,5 cm, 20 pages en accordéon, 48 ex. sur Larroque, dont 12 avec un collage de Philibert-Charrin, imprimé en avril 1985 par les ateliers typographiques Gerbaud, Paris. E.O.

15. Yves Bonnefoy. Par où la terre finit.
17 x 18 cm, 22 pages, 45 ex. sur papier de jute du Rajasthan, dont 12 avec une miniature indienne de Raja Babu Sharma, imprimé en juillet 1985 par Franck Meyer, Paris. E.O.

16. Émile Michel Cioran. A l'Orée de l'existence.
16 x 19,5 cm, 22 pages, 45 ex. sur
papier de jute du Rajasthan, avec trois peintures tantriques, imprimé en juillet 1985 par Franck Meyer, Paris. E.O.

17. Octavio Paz. La Face et le vent, édition bilingue, traduite de l'espagnol par Roger Munier.
17,5 x 26,7 cm, 7 pages en accordéon, 45 ex. sur papier de jute du Rajasthan, avec une peinture indienne, imprimé en août 1985 par Franck Meyer, Paris. E.O.

18. Edmond Jabès. Ce qui m'appartient.
18,5 x 14 cm, 22 pages, 45 ex. sur
papier de jute du Rajasthan, avec deux peintures tantriques, imprimé en août 1985 par Franck Meyer, Paris. E.O.

19. Lokenath Bhattacharya. Le Daim dans le jardin de fleurs, traduit du bengali par l'auteur et Franck André Jamme.
16 x 20 cm, 16 pages, 60 ex. sur B.K.F. Rives, dont 20 rehaussés d'une aquarelle de Gisèle Sami-Ali, imprimé en décembre 1985 par Franck Meyer, Paris. E.O.

20. Claude Delarue. Cela n'a pas de fin.
16 x 20 cm, 16 pages, 48 ex. sur Larroque, dont 15 avec une mine de plomb de Jean-Pierre Meyer, imprimé en avril 1986 par Gilles Couttet, Le Pontet.
E.O.

21. Franck André Jamme. La Récitation de l'oubli.
15 x 23 cm, 72 pages, 30 ex. sur vélin Johannot, avec une peinture tantrique, imprimé en mai 1986 par La Charité, Montpellier ; coédité par Fata Morgana. E.O.

22. Yves Bonnefoy. A l'Orée de l'existence.
16 x 19,5 cm, 22 pages, 45 ex. sur
papier de jute du Rajasthan, avec trois peintures tantriques, imprimé en juin 1986 par Gilles Couttet, Le Pontet. E.O.

23. Philippe Jaccottet. Le Cerisier.
16 x 20,5 cm, 24 pages, 49 ex. sur Larroque, dont 20 avec une aquarelle de Anne-Marie Jaccottet, imprimé en juin 1986 par Gilles Couttet, Le Pontet. E.O.

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08/05/2021 | Lien permanent

Le catalogue complet des éditions Marchant Ducel (alias Franck André Jamme) : 1982-1994. Première partie

C'est en relisant la bibliographie d'Edmond Jabès parue en juin 2007 chez Seghers (soigneusement expurgée de tous ses écrits antérieurs à 1943 ; à savoir que, même reniés par leur auteur, ces livres ont pourtant bien existé !) - à cette lecture donc, j'ai noté l'absence de date de publication pour le second opus d'E. Jabès paru chez Lucie Ducel : "L’Étranger". Et c'est, entre autres, ce qui m'a décidé à saisir pour vous l'intégralité dudit catalogue, qui compte 36 titres, livres d'artistes inconnus de la Bibliothèque nationale.
Rappelons que la directrice de publication des éditions Marchant Ducel habitait le 79 rue du Chemin Vert dans le onzième parisien et que son pseudo était Lucie Ducel, (de fait une Serbe francophone, dont m'échappe le nom).

Première partie :

1 René Char. Le Convalescent.
20,5 x 14,5 cm, 20 pages, 25 ex. sur Népal, imprimé en mai 1982 par Neesa Press, Kathmandu, avec une peinture tantrique.

2 Milarepa. Dernier Chant, traduit du tibétain par Lopsang Lama.
23 x 17,5 cm, 16 pages en accordéon, 40 ex. sur Népal, dont 7 sous bois avec un portrait traditionnel de Milarepa et 33 sous soie ou toile avec une gravure du portrait, imprimé en mai 1982 par Neesa Press, Kathmandu. E.O.

3. Franck André Jamme. Pour les simples.
16 x 23,5 cm, 16 pages, 30 ex. sur Népal, imprimé en mai 1982 par Neesa Press, Kathmandu, avec une peinture tantrique. Coédité par Thierry Bouchard. E.O.

4. Pierre André Benoît. Clarté de midi.
11 x 18,5 cm, 16 pages, 13 ex. sur vélin d'Arches, imprimé en mars 1983 par Jean Martinez, L'Isle-sur-la-Sorgue, avec une aquarelle de Lucie Ducel. E.O.

5. Franck André Jamme. Pour les simples **.
12,5 x 18,5 cm, 20 pages, 50 ex. sur vélin d'Arches dont 12 avec une gouache de Marguerite Leuwers, imprimé en février 1983 par Jean Martinez, L'Isle-sur-la-Sorgue, E.O.

6 Pierre Oster Soussouev. Le Murmure.
17 x 23 cm, 16 pages, 13 ex. sur vieux Saunders, imprimé en avril 1983 par Gilles Couttet et Gérard Thomas, Le Pontet, avec une aquarelle de Lucie Ducel. E.O.

7 Henri Michaux. Yantra.
18 x 16,5 cm, 15 pages en accordéon, 36 ex. sur papier népalais dont 10 sous bois gravé (marqués de A à J) et 26 sous toile noire (numérotés de 11 à 36), tous rehaussés d'un shri yantra traditionnel, imprimés le 20 juin 1983, par Wonder Printing Press, Kathmandu.

8 Roger Munier. Comment dire ?
25 x 15 cm, 26 pages, 36 ex. sur Népal, imprimé en juin 1983 par Wonder Printing Press, Kathmandu, avec une peinture tantrique. E.O.

9 Brug'pa Kun'legs. Poème, traduit du tibétain par Lopsang Lama.
22 x 13 cm, 16 pages en accordéon, 20 ex. sur Népal des actes de propriété de la Cour, dont 7 sous bois, avec une peinture traditionnelle tibétaine, et 13 sous toile, avec une empreinte, imprimé en juin 1983, par Wonder Printing Press, Kathmandu. E.O.

10. Lokenath Bhattacharya. Des aveugles très distingués, traduit du bengali par France Bhattacharya.
15,5 x 20 cm, 28 pages, 50 ex. sur Népal, dont 13 rehaussés d'une miniature indienne de Raja Sharma et Sunheri Lal, et 37 d'un diagramme tantrique, imprimé en juillet 1983 par Wonder Printing Press, Kathmandu. E.O.

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08/05/2021 | Lien permanent

Deux témoignages sur l'homme et le poète que fut Jeanpyer Poëls

La lettre que je reçois d'un de ses anciens élèves, merci de votre lecture, vous pouvez la diffuser, tout comme celle qui suit, le plus largement possible, à bientôt, Daniel Martinez

Monsieur Martinez,
 
Je viens juste d'apprendre par votre blog le décès de Jeanpyer Poëls. Même si je le savais malade depuis de très nombreuses années et que, par le fait, on a coutume de dire "qu'il faut s'y attendre" cela n'apaise en rien mon chagrin. Je caressais l'espoir de le recroiser peut-être un jour prochain, physiquement. J'ai toujours une  pensée vers lui en passant à proximité de son lieu d'habitation lorsque je rentre de chez ma mère en passant par Orange. 
 
Récemment, je ne voyais pas venir de retour du dernier envoi que je lui avais fait parvenir fin avril : Une petite information, comme j'avais coutume de le faire, qui concernait une exposition personnelle montée dans le cadre du printemps des poètes à la librairie de Tarascon et dont le texte de présentation évoquait la formule d'Hölderlin sur la nécessité d'habiter poétiquement le monde. Pour moi Jeanpyer Poëls a habité et habitera toujours poétiquement ce monde.
 
Aujourd'hui encore à midi, je suis descendu vérifier le courrier. Peut-être qu'un fameux pli griffé de son écriture verte si personnelle est arrivé ?... Aujourd'hui à 15h, je sais que ce retour n'arrivera jamais. Plus jamais ces enveloppes, ces échanges, parfois complexes à déchiffrer, parfois laconiques, toujours comme des clins d’œil... Alors je pleure. Je pleure comme un enfant, comme ça ne m'est pas arrivé depuis des années, et je vous prie de bien vouloir m'excuser de vous adresser ce message plein de larmes. C'est parce que Jeanpyer Poëls m'avait mis en contact avec vous en début d'année, parce que je sais aussi ce qui vous liait, et la peine qui doit être la vôtre, que je me permets spontanément cette "impudeur"...
 
Jeanpyer Poëls était pour moi le professeur que je n'oublierai jamais, un poète d'une grande modestie, un ami...
 
Mes sentiments les meilleurs pour vous Monsieur Martinez,
 
comme il signait : "Bien amiKlement" 

Une seconde lettre, non moins émouvante, m'est parvenue le 28 juin, voici :
 

Monsieur,


à la suite de ce très beau message de son ancien élève, j'aimerais moi aussi rendre hommage à Jeanpyer POËLS et évoquer les valeurs de l'homme et du poète.
Je le ferai simplement, avec des mots colorés de souvenirs heureux liés à nos rencontres où contrairement à ce que disait RIMBAUD, la vraie vie n'était jamais absente.
Le début de ces rencontres remonte à l'année 1969 où étant devenus voisins, nous nous liâmes d'amitié.
Alors que ma vie se trouve prise dans les mailles d'un lourd handicap physique qui m'éloignera de toute scolarité, Jeanpyer repéra très vite mon intérêt pour la littérature en général et la poésie en particulier. Il me fit entre autres découvrir l'œuvre de RILKE, d'Henri MICHAUX et celle de René CHAR pour qui vivre c'est s'obstiner, sans oublier bien sûr, la revue DIERESE.

A la suite de son départ vers Orange, nos échanges devaient se poursuivre à travers une correspondance à l'encre verte.
C'est rempli de peine que je me permets d'écrire ces quelques lignes, mais tel que je connaissais Jeanpyer, il n'aurait pas aimé que nous soyons tristes.

Je garde dans les oreilles cette voix lente qui laissait entendre une gourmandise langagière qui se retrouvait d'ailleurs dans sa poésie faite de recherches et de cet effort obstiné de dire dont parle James Sacré, et qui n'avait rien à voir avec ces faiseurs de vers dont parle Verlaine, en qui Georges Bataille ne voyait qu'une poésie gluante.

Cette voix ne se faisait jamais prier pour fustiger les faux-semblants d'un monde ne correspondant pas à sa conception de l'essentiel.

Je terminerai en disant que Jeanpyer ne nous a pas quittés, la vie bien plus que l'existence, il a simplement mit un terme à notre plaisir d'ouvrir l'un de ces courriers écrit à l'encre verte et sentant bon l'affection.

Avec tout mon respect et ma considération.


Christian PLUMECOCQ

 
 

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16/06/2018 | Lien permanent

”Fables pour ne pas”, de Bernard Noël, vignette de couv. C.G. Guez Ricord, éd. Unes, 96 pages, 19/11/1985

                                                   La clef
                                                   Où est la clef ?
                                                   Les insectes se la passent
                                                   Les balais la balaient

                                                   Henri Michaux.

Fable des mots nés


       il s'est vêtu de papier
       l'homme noir

       il a sué sa poussière

       il a dit
       maintenant
       lisez

 

       la terre a produit
       des mots

       les mots ont produit des mots

       le bout du monde
       a poussé au bout de la langue

       tout s'est couvert
       d'une peau de temps

 

       il y a eu l'avant

       il y a eu l'après

       et la vie de derrière le dos
       et la vie de devant les yeux

       on a perdu le milieu

 

       qu'arrive-t-il
       disait-on

       le soleil est une mouche
       qui laisse des pattes partout

       on prend le frais
       à l'ombre des lettres

 

       alors
       la
       vie
       est
       devenue
       le
       mot
       manquant


Bernard Noël

P. POEME 1 ROGNET 1.jpg

Dessin de Pacôme Yerma

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28/04/2021 | Lien permanent

”L'Ajour”, André du Bouchet, Poésie/Gallimard

Si la poésie ne cherche pas à nous détourner du monde ou de nous-mêmes par un aménagement factice et commode de l'imaginaire, elle ne saurait pourtant se réduire à une démarche d'éveil à la réalité immédiate - celle-ci, éclatée, multiple, insaisissable, n'offrant jamais qu'une face rendue accessible parce que tronquée des choses. Insoumise pour cette raison aux diktats des possibles, la poésie ne peut se charger de mission - fût-ce celle d'un éveil, même s'il peut lui arriver de l'accomplir par surcroît.

Ainsi traçant ses marches hors du champ immédiatement donné dans laquelle tout est perdu (1), c'est en amont, aux abords, au bord extrême, sur les pans inconnus et à l'encontre de cette réalité d'apparence se donnant seule à voir à nos regards socialisés que la poésie d'André du Bouchet parcourt l'ombre qui par éclats nous révèle de la "réalité réelle" (2) les éléments bruts et la matière première. Poésie arrachée par bribes, par fragments à cette matière du monde qu'elle découvre de ses empreintes fugaces et inachevées, ajour dans la nuit du monde, ouverture dans le vide blanc de la page, trouée qui nous trace en cette ombre avant que ne s'effacent, par elle recouverte, le trait, le mouvement, l'à peine déplacement que nous fûmes.

Ajour non comme la clarté du jour mais ajour comme éclair, passage, échappée, écartèlement d'obscur qui, e cette faille, de cette brisure, nus fait l'être de cette discontinuité-même. Dans ce néant du monde que nous venons interrompre avant qu'il ne nous annule, nous aurons dès lors manifesté, par cette interruption, de la façon la plus nette dans toute sa vigueur malgré sa précarité, notre être vivant et notre liberté.

Revenir une fois encore sur la difficulté, l'hermétisme de cette poésie n'a pas plus de sens que de demander à un boulimique de séries télévisées d'aller courir un 1 000 ou un 10 000 mètres. L'"illisibilité" du poème n'étant que l'effet d'une résistance. Résistance à la négation et à la disparition de l'être dans le marais de la communication et le management de l'échange convenu. Hermétique ? non, mais langue coupée, escarpée, fragmentaire qui se refuse, par sa splendeur lapidaire et essentielle, à l'avalement de l'immédiat.

La poésie d'André du Bouchet manifeste avant tout (3) une volonté de survie en milieu hostile. L'enjeu vital du poète est de trouver l'air nécessaire à la poursuite de sa course, ou même simplement de son pas. Dans la nuit d'origine comme dans le blanc de la neige ou de la page, tracer la marque du jour, le pas, le mot qui figure et, du même trait, défigure (4) le vide qu'en passant nous avons troublé.

En ce début de siècle barbare, la poésie d'André du Bouchet, par son exigence aussi bien que par sa beauté, sa résistance à toute facilité, son refus de tout compromis communicatif, figure parmi les plus authentiques de notre temps. Une poésie de la difficulté mais aussi de la volonté, malgré tout, d'être avec - et pour cela contre - l'air, le ciel, le vent, les pierres, la lumière, donnés ici concrètement palpables, contre la dilution et la vacuité du monde, dans cette matière même de la vie un bref instant réalisée.

L'ajour - présenté d'une ligne comme l'état définitif de pages extraites de... - n'est en rien une simple anthologie revue de textes déjà publiés. Reprenant, souvent en en bouleversant la structure générale et en en retirant nombre de poèmes, six recueils (5) - dont principalement Laisses et Axiales -, L'ajour ne saurait "remplacer" les livres auxquels il se réfère, mais apparaît comme un texte majeur, unique et en tout point original du travail toujours recommencé d'André du Bouchet.

Un long poème, passage d'une ombre à une autre, embrasure - que l'on pourrait aussi bien dénommer "autobiographie ajournée" - ici désignée comme ajour.

                                                                                       Bernard Desportes

 

(1) Pierre Reverdy.
(2) "Réalité réelle" comme Rimbaud parle de "liberté libre".
(3) En cela proche de celle d'Henri Michaux.
(4) André du Bouchet : D'un trait qui figure et défigure, Fata Morgana, 1997.
(5) Laisses, Qui n'est pas tourné vers nous, Rapides, Axiales, Poèmes et proses et Retour sur le vent.

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21/07/2015 | Lien permanent

”Autres journées”, de Philippe Jaccottet, éditions Fata Morgana, 17 mars 1987, 96 pages

Michaux octogénaire, dans Poteaux d'angle :

Garde intacte ta faiblesse.

Si tu traces une route, attention, tu auras du mal à revenir à l'étendue.

Il reste du limpide en toi.

Et, en écho au tigre de Blake :

Seigneur tigre, c'est un coup de trompette en tout son être quand il aperçoit la proie, c'est un sport, une chasse, une aventure, une escalade, un destin, une libération, un feu, une lumière.
Cravaché par la faim, il saute.
Qui ose comparer ses secondes à celles-là ?
Qui en toute sa vie eut seulement dix secondes tigre ?

Plus loin :

Musique longtemps proche de la poésie.
Une flûte de roseau suffisait. Quand le souffle l'approche et la traverse, la nostalgie en sort. "Sa" nostalgie que l'homme aussitôt reconnaissait comme la sienne... quoiqu'elle soit plus gracieuse - et il s'en enchantait, qu'il fût berger ou promeneur ou princesse. L'espace alors la faisait et elle rendait l'espace.

Philippe Jaccottet

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15/08/2021 | Lien permanent

Entretien de Bruno Sourdin avec Guomei Chen. A propos de ”Si profonde est la forêt - Anthologie de la poésie des Tang”,

Et vive la poésie des Tang !

Première partie


De 618 à 907, pendant trois siècles, la Chine a connu une extraordinaire effervescence culturelle. La poésie de la dynastie des Tang est sans aucun doute un sommet de la littérature mondiale. C’est pourtant une période paradoxale, troublée, violente, dominée par un pouvoir impérial d’une extrême rigidité. Ce qui n’empêche pas, singulier contraste, l’empereur et les élites de l’empire d’être de grands amateurs de poésie.
Bien que les voyages soient périlleux, les poètes Tang ont aimé prendre la route, quand ils n’y ont pas été contraints. Épris d’indépendance et de liberté, ils sont les chantres d’un art de vivre particulièrement raffiné, les auteurs d’une poésie d’une élégance inouïe. Leur amour de la nature est exemplaire. Leurs œuvres apportent une formidable bouffée d’air pur et un sentiment de plénitude tonifiant.
Guomei Chen a traduit 35 poètes, 32 hommes et 3 femmes (les trois poétesses les plus marquantes de cette époque) : soit 161 poèmes, parmi les plus beaux de la poésie classique chinoise. Les textes sont présentés en version bilingue, avec une notice détaillée pour chaque auteur, ce qui a nécessité un important travail de recherche dans des archives peu accessibles à des Occidentaux. La traduction est simple et directement compréhensible.
La poésie Tang est vivifiante et sereine. Éblouissante. Unique. C’est une poésie qui nous emporte, qui nous procure un sentiment extraordinaire de paix. A déguster librement entre Ciel et Terre.

Bruno Sourdin : Le titre de ton anthologie, "Si profonde est la forêt", est tiré d’un court poème de Wang Wei, un poète majeur de la dynastie des Tang. Le poème est intitulé "Dans la forêt de bambous" et le vers en question, tu le traduis ainsi : "Si profonde est la forêt, je reste invisible". On peut commencer par là : qu’est-ce que nous dit cette image de la forêt ? Que représente la forêt pour un Chinois du VIIIe siècle?

Guomei Chen : Pour être précis, cette forêt de bambous, qui entoure la Villa Wangchuan, est en fait une partie du domaine dont Wang Wei a fait l’acquisition à la demande de sa mère, une bouddhiste dévouée. Isolé du monde extérieur grâce aux bambous, le poète joue du qin dans une absolue solitude et siffle de temps à autre, sous la clarté de la lune, devant un ruisseau image d’un ermite en parfaite symbiose avec la nature. Dans la tradition chinoise, la forêt, comme la montagne, c’est l’endroit idéal où un ermite aime à se retirer. La nature a une importance vitale dans la poésie, où l’individu se retrouve face à lui-même, sans l’intercession des autres, dans un état proche de l’origine, hors des contingences de ce monde. Il y a dans cette attitude à la fois une modestie profonde face au milieu naturel dont nous sommes un élément et forcément tributaires ; et puis cet effacement n’est pas sans rappeler ce qui, en Occident, s’apparente à une attitude monacale, distante mais enrichissante.

Bruno Sourdin : Wang Wei a sur la nature un regard très dépouillé. C’est un méditatif. Son bouddhisme y est certainement pour quelque chose. Mais est-ce que, selon toi, sa poésie aurait été différente s’il avait été un adepte du taoïsme ou si, au contraire, il avait suivi le confucianisme comme règle de conduite ?

Guomei Chen : Pour les lettrés chinois, en définitive, le bouddhisme et le taoïsme sont les deux voies qui conduisent l’homme vers une même destination : une vie éternelle et heureuse. Ils ont en commun de goûter et de se conformer à une vie d’ermite, proche de la nature, de la méditation, dans une optique plutôt individualiste. Remarquons par ailleurs que beaucoup de Chinois sont, même de nos jours, partagés entre le bouddhisme et le taoïsme. A mon sens, il est indifférent que Wang Wei ait pu être bouddhiste ou taoïste, sa poésie ne s’en serait pas ressentie.

De fait, le confucianisme a eu un impact différent sur l’homme ainsi que sur sa poésie, en lui faisant adopter des doctrines plus "actives" que celles des bouddhistes et des taoïstes : entrer dans la vie politique, aider l’empereur à gouverner le pays, sauver le peuple en danger ou simplement s’employer à le rendre heureux. On ne peut pas parler du confucianisme sans parler de la politique. Confucius lui-même a voyagé de pays en pays, pendant quatorze ans, pour persuader les rois de le recruter et d’adopter ses idées politiques, mais toujours en vain. Il s’est donc contenté de devenir un grand éducateur.

Il ne faut pas oublier que Wang Wei, malgré l’influence bouddhiste de sa mère, a suivi dès son enfance le confucianisme comme règle de conduite, tout comme les autres enfants de la dynastie Tang et de celles qui ont suivi. Il a réussi très tôt au concours impérial, concours obligatoire pour devenir fonctionnaire jusqu’en 1911. Il fallait alors maîtriser la poésie pour passer ledit concours. Wang Wei a ainsi pu devenir, au fil du temps, un haut fonctionnaire. Il aurait dû arriver un jour à obtenir le poste de chancelier ou celui de ministre, mais lors de la révolte d'An Shi, il fut emprisonné par les rebelles et se vit contraint d'accepter un poste de conseiller dans leur clan. Cet incident, considéré par la Cour comme une trahison, lui valut la peine de mort (sans qu'elle soit mise à exécution) et marque la fin de sa vie politique. Ce fut pour Wang Wei un tournant capital dans sa vie. De confucéen qu’il était, il se convertit définitivement au bouddhisme, devint face au monde extérieur de plus en plus "passif" pour suivre la voie qui était la sienne et composer sa poésie, conçue comme un aboutissement.

Bruno Sourdin : Restons encore un moment avec Wang Wei, un homme que je trouve fascinant. Dans le poème qui ouvre ton anthologie, il se met en scène jouant du qin :

"Assis seul dans la forêt de bambous,
je joue du qin, et siffle parfois.
Si profonde est la forêt, je reste invisible,
seule la clarté de la lune m’accompagne."

En effet, Wang Wei était poète, musicien, c’était également un grand peintre. Tu précises qu’il a inventé le paysage monochrome à l’encre. Est-il le seul lettré à s’être illustré de façon si brillante dans les trois disciplines ?

Guomei Chen : Ta question renvoie en fait à un phénomène littéraire vieux de plus de deux mille ans. Au regard de la tradition chinoise, un ou une lettrée authentique doit maîtriser obligatoirement les quatre domaines suivants : le qin (la cithare chinoise), le qi (le go), le shu (la calligraphie) et le hua (la peinture chinoise). Ce sont ces quatre techniques que dans le passé les Chinois pratiquaient dès qu’ils étaient scolarisés. C’est pour cela que beaucoup de poètes sont en même temps peintres, calligraphes, musiciens ou joueurs de go, et que certains, les meilleurs d’entre eux, maîtrisent l’ensemble de ces disciplines. Wang Wei fut un précurseur effectivement, en s’illustrant avec le paysage monochrome à l’encre. Par ailleurs, depuis l’Antiquité, la poésie est faite pour être chantée et la musique apparaît donc comme un accompagnement nécessaire. Pour mémoire, beaucoup de musiciens sont les amis intimes des poètes. Par exemple, Wang Wei et Du Fu ont tous deux composé un poème dédié au célèbre musicien Li Guinian ; de même, le musicien Dong Tinglan a eu pour amis les poètes Yuan Zhen et Gao Shi. Dans ce poème, Wang Wei s’accompagne lui-même, la musique enfante en quelque sorte ses propres vers. En Occident, signalons qu’il est rare de trouver un poète de qualité qui soit en même temps un plasticien renommé. On parle volontiers de Victor Hugo et beaucoup plus récemment d'Henri Michaux, mais ce sont des exceptions, à mon sens. Il y a donc une spécificité chinoise dans ce domaine, favorisée sans doute par la calligraphie, la peinture des idéogrammes.

Bruno Sourdin : Très jeune, Wang Wei a adopté un style de vie monacal. Son meilleur ami, Meng Haoran, est lui aussi un solitaire qui, très tôt, renonce à faire carrière et se retire dans les montagnes. Qu’ils l’aient fait par goût ou qu’ils aient été contraints de le faire, très nombreux sont les poètes chinois de cette époque à avoir adopté ce style de vie. Dirais-tu que vivre en ermite est une autre spécificité chinoise?

Guomei Chen : D’une manière générale, les poètes, aussi bien que ceux qui ont fait vœu de se retirer du monde pour vivre en ermites, s’y sont résolus car ils désiraient trouver une veine prometteuse, hors du cadre fixé par la société, hors des contraintes, des automatismes et des a priori. A remarquer que les personnes qui ont choisi la vie d’ermite ont connu des hauts et les bas dans leur existence, les seconds finissant par l’emporter. Et donc face à ces déceptions, la bascule s’opère pour retrouver un sens originel perdu, matière à nostalgie.
Vivre en ermite n’est pas absolument une spécificité chinoise, bien qu’à l’époque dont nous parlons les exemples abondent de poètes ayant adopté ce style de vie, contemplatif et marginal : puisqu’ils sont conscients de ne pouvoir changer le monde, ils recherchent une sorte de salut en eux-mêmes, premier, essentiel. Leur désir sous-jacent est donc de rétablir un équilibre, chose que ne permet pas la société.

Bruno Sourdin : Tu insistes, dans ton introduction, sur le fait que la poésie chinoise est d’origine populaire. On ignore généralement, en Occident, que la poésie chinoise s’est construite à partir de la musique populaire, chantée. C’est donc une poésie qui doit être accessible au plus grand nombre?

Guomei Chen : Il est vrai que la poésie chinoise est d’origine populaire, c’est une poésie intégrée à la vie des gens dits ordinaires depuis l’Antiquité, s’inspirant des chants des esclaves qui travaillaient dans les champs. La mise en forme de cette poésie orale en reste donc tributaire. Remarque d’ailleurs qu’il n’y a pas, à l’époque Tang en particulier, conceptualisation mais intériorisation du réel. Dans la poésie classique chinoise, le poète semble s’effacer devant ce qui est, laissant libre cours à son admiration ; ou à l’inverse, c’est la déception voire la condamnation qui priment, mais cela jamais de manière ostentatoire, plutôt allusive. Disons que, plus encore, les poètes ne se laissent pas aller aux débordements lyriques et dans ce sens tout l’aspect sentimental, voire affectif, quand il est présent, est contenu, imagé, discret. Comme dans "Ballade du lotus", de Bai Juyi :

"Voyant celui qu’elle aime,
la jeune cueilleuse de graines de lotus,
voulant lui parler, baisse la tête en souriant
et se lisse les cheveux,
son peigne de jade tombe dans l’eau."

Les lettrés ne se contentaient pas de suivre un itinéraire dédié et ne vivaient pas non plus de leur plume, ils s’appuyaient sur ce que leur renvoyait l’image du monde. Je pense d’ailleurs que la poésie, quelles que soient les époques, est faite pour être lue par le plus grand nombre, sans être uniquement réservée aux élites. En Chine, à l’école primaire, tous les élèves sont tenus d’apprendre la poésie, classique ou moderne, cela fait partie de notre patrimoine culturel.

Bruno Sourdin : Li Bai, plus connu sous le nom de Li Po, est le poète chinois le plus célèbre en Occident. On retient l’image de cet "immortel banni sur terre" qui occupait ses journées à flâner dans les montagnes, à composer des poèmes et à boire du vin sous la lune. Il était un grand buveur. Il se serait noyé, une nuit d’ivresse, en essayant d’attraper le reflet de la lune sur les eaux du fleuve. C’est la légende. Faut-il croire à cette légende ? Et surtout comment est-elle perçue par les Chinois d’aujourd’hui ? Li Bai est incontestablement un poète de génie.

Guomei Chen : Li Bai est appelé "immortel banni sur terre" par He Zhizhang, poète et homme d’État qui admirait son talent, qui est manifeste. Représentant du romantisme, Li Bai est si ingénieux, si prolifique qu’aucun poète de la dynastie Tang n’a pu le surpasser. Il maîtrise tous les domaines de la poésie de l’époque : quatrain pentasyllabique, quatrain heptasyllabique, pentasyllabes et heptasyllabes de style ancien, pentasyllabes et heptasyllabes de style "réglementé", yuefu, etc. Un cas rare dans l’histoire de la poésie chinoise classique. Les élèves chinois apprennent ses poèmes dès la maternelle et les étudient jusqu’à l’université.

La vie aventureuse de Li Bai a sans cesse influencé les romanciers et les dramaturges des époques postérieures. D’où cette légende, qui en est bien une, d’une noyade par une nuit d’ivresse alors qu’il tentait de se saisir du reflet de la lune : c’est une image naturellement, car on ne parvient jamais à circonscrire un idéal. Ainsi, sa fin reste empreinte d’une dimension mystérieuse. Ceci dit, il avait effectivement un penchant pour la boisson. Dionysiaque d’esprit, son comportement dans la vie et les thèmes abordés dans sa poésie en témoignent. Par exemple, dans "Séjour en province lointaine" on peut lire ces vers :

"Si le maître de maison pouvait s’enivrer avec moi,
j’oublierais être si loin de ma ville natale."

Dans les faits, en se référant aux archives officielles, en 762, pauvre et malade, Li Bai meurt chez son ami Li Yangbing, à qui il a pu confier au préalable les manuscrits de ses poèmes. En définitive, peu importe de savoir quelles furent les conditions réelles de sa mort, Li Bai acquiert dès son époque le statut d’un mythe, statut qui perdure depuis lors, jusqu’à nos jours.

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12/03/2021 | Lien permanent

Une encre inédite de Jean Rousselot

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Certainement parmi les meilleures œuvres graphiques de Jean Rousselot, ces encres de Chine qu'il peignait en les affinant à la pointe d'un stylo ou à la plume sur du papier glacé pour accentuer les contrastes. Le hasard le guidait, comme dans ses collages d'ailleurs, où il laissait retomber en pluie des images découpées dans des magazines divers.

Touchant ici à la majesté de certains Mouvements de Michaux, avec la force de ses cauchemars - car il en avait - dont certains ont été racontés dans Minimes, aux Deux-Siciles. Sa métaphore : le monde comme une échelle, à chacun sa façon de gravir chaque barreau, l'un après l'autre, jusqu'au dernier. Mais après ?

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L'herbe poussiéreuse des accotements
et sur leurs tiges grêles
les larges éventails des fougères
un jeu de lignes qui ondulent
sont clés pour le silence

Une empilade de fagots secs
sous le vieil escalier de pierre
dont les marches évidées par les pas
conduisent à la pièce qui sent le sur
la peau de gants l'intérieur
des malles longtemps fermées

Une nuée sombre ballonne à l'horizon
vivantes chairs tout contre quoi
s'appuie la vie tant bien que mal


Ici et là des arbres somnolent
entre le grand et le petit bras de la rivière
laissent passer les vignettes des nuages


et l'eau des mains s'échappe
comme la petite musique des mots
s'éteint à mesure la pesanteur
d'une inquiétude saturnienne

                           Daniel Martinez

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12/10/2016 | Lien permanent

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