06/08/2016
Edouard Pignon vu par Hélène Parmelin
Hélène Parmelin - de son vrai nom Hélène Jurgenson (11/8/1915 - 05/2/98) - écrivait en janvier 1976, à propos de la période des Grands nus d'Edouard Pignon (parti de Paris, le couple retrouve l'atelier du Moulin, ndlr) :
"Au bout du train de nuit, du morne de l'arrivée dans les gares le matin, l'entrée au Moulin a toujours quelque chose d'irréel. La mer et les îles. Les mimosas en fleurs, des quatre saisons. Les chiens. Les chambres qu'on retrouve. Tout un climat superbe de rochers et de cactus, de nature et de distance, de solitude sans solitude. Et de ciel plus généreusement présent qu'ailleurs. Avec un énorme feu d'oliviers sous les coqs de céramique des cheminées. La chambre. Les deux nus rouges. Le nu jaune. Et la tête de l'Ouvrier que personne ne connait.
Dans l'après-midi je le trouve dans l'atelier, tendu et surexcité. Les deux grandes toiles voisinent sur deux chevalets. Il écoute de la musique en les regardant. Il dit qu'il lui semble qu'il y a quelque chose là-dedans. Quelque chose qui commence. Quelque chose de nouveau. Bien sûr, dit-il, elles ne sont pas faites. Mais "elles ont quelque chose". Il répète cette phrase pendant tout le reste de la journée. Le soir. Avant de s'endormir il en parle encore. Il dit qu'il lui semble que quelque chose va sortir de tout ça. Il parle beaucoup. A la façon des peintres. Le personnage de droite dans la bleue. Ou le parasol bleu de celle de gauche. Ce n'est pas fait. En tout cas il se montre dans le bouillonnement de quelque chose qui commence. On entend un peu la mer. Et en-dehors d'elle, qui est comme un grondement lointain de métro, un silence si grand et si prolongé qu'on a l'impression de tomber dans un trou. "Tu peux dire ce que tu veux (je ne dis rien), il y a quelque chose dans ces deux toiles. Quelque chose de nouveau est en train de naître.
... Une phrase de Picasso le frappe en 1972. Il lui montre des diapositives de nus. Picasso y porte une attention extrême et ne cessera à chacun de nos voyages vers lui - jusqu'au dernier - de réclamer des nus, des aquarelles, des photos. (Il est difficile de trimballer les grandes toiles de nus...) Au premier regard Picasso dit, avec une espèce de sourire : "Tiens, tu fais de l'anti-Matisse !" Et il ajoute aussitôt avec une mimique chagrine : "Et tu fais aussi de l'anti-Picasso." Le contraire d'une arabesque et le contraire d'une harmonie. Le contraire aussi d'une construction, et d'une description."
Hélène Parmelin
La Licorne, Daniel Martinez
A lire : Contre-courant, d'Edouard Pignon, Editions Stock, 1973
13:49 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)
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