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25/09/2021

"Le Jardin des Plantes" de Claude Simon, éditions de Minuit, 19/9/1997, 378 pages : opus 1

Claude Simon, interrogé par Philippe Sollers :

Philippe Sollers : Ce qui m'a toujours frappé, dans vos livres, c'est à quel point l'Histoire apparaît sous une forme concrète, comme le résultat sans cesse repris d'une expérience personnelle. Dans Le Jardin des Plantes, vous ironisez même sur ceux qui croient que la littérature est une sorte de jeu formel, indifférent au contexte historique où il se déroule. On reconnaît sans peine dans cette critique les propos de l'époque, de Jean Ricardou et d'Alain Robbe-Grillet.

Claude Simon : Je n'ironise pas ; j'ai donné telle quelle la transcription d'un débat...
P. S. : Tout de même, l'effet produit est cocasse, puisqu'il s'agit au fond de savoir si votre aventure de guerre, en 1940, est une réalité objective ou non.
C. S. :  Oui... Mais bien que je sois loin d'être d'accord avec notre ami Robbe-Grillet sur beaucoup de points, il a dit quelque chose que je peux absolument contresigner : "le monde n'est ni signifiant ni absurde : il est." Et Barthes a tenu un propos presque identique : "Si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien."
P. S. : Pourtant, ce monde, il est aussi pris dans le temps, l'Histoire. Vous citez cette phrase extraordinaire de Flaubert : "Avec les pas du temps, avec ses pas gigantesques d'infernal géant." L'autre titre de votre dernier roman, vous le dites vous-même, pourrait être "Portrait d'une mémoire".
C. S. : Pas exactement le titre, mais c'est, en quelque sorte, ce que j'ai essayé de faire : une description. Vous savez, il y a cette réflexion de Tolstoï que j'ai citée dans mon discours de Stockholm : un homme en bonne santé perçoit couramment, sent et pense un nombre incalculable de choses à la fois. Là est le problème. Vous devez le connaître puisque vous écrivez. L'écriture ne peut présenter les choses que successivement et dans un certain ordre. Partant d'un même spectacle, selon que j'écris "le pont franchit la rivière" ou "la rivière passe sous le pont", mon lecteur ne verra pas la même image.
P. S. : Mais on peut essayer la simultanéité, et c'est ce que vous faites.
C. S. : On peut essayer quelque chose qui en donne l'idée...
P. S. : Si on est sensible au langage, à la peinture ou à la musique, on sait très bien comment cela se passe. Mais la mémoire humaine, ce qui définit l'essence singulière de l'individu, vous l'introduisez dans une autre logique que celle des historiens, une logique qui procède par accumulation de points secrètement communs.
C. S. : Oui, des points communs ou des points opposés. A partir du moment où on ne considère plus le roman comme un enseignement, comme Balzac, un enseignement social, un texte didactique, on arrive, à mon avis, aux moyens de composition qui sont ceux de la peinture, de la musique ou de l'architecture : répétition d'un même élément, variantes, associations, oppositions, contrastes, etc. Ou, comme en mathématiques : arrangements, permutations, combinaisons.
P. S. : Mais on passe avant tout par la sensation.
C. S. : Pour moi, c'est primordial.
P. S. : L'importance de la sensation... Cela me fait penser à un mot de Cézanne : "Les sensations formant le fond de mon affaire, je me crois impénétrable."
C. S. :  Pas mal... Mais moi, je ne me crois pas impénétrable.
P. S. : Pas impénétrable, peut-être, mais multiple. Il y a dans votre livre plusieurs narrateurs, plusieurs positions subjectives, plusieurs "Claude Simon", en somme. On voit ainsi un collégien, un contrebandier d'armes pendant la guerre d'Espagne, un cavalier conduit à une mort à peu près certaine pendant la guerre en 1940, et dont vous dites de façon très étrange qu'il est mû par une sorte de mélancolie.
C. S. :  Oui, un état de mélancolie. En fait, c'était un désir éperdu de vivre. Jamais le monde ne m'avait paru si beau, jamais je n'avais eu autant envie de vivre, et j'allais mourir. Par conséquent, le mot "mélancolie", je ne le vois pas tellement comme une tristesse. Je le dis par ailleurs dans ce livre.
C'est quelque chose de plus vital. Il y a un furieux "je veux vivre". Vous voyez ? Ce n'est pas romantique. J'emploie probablement ce mot complètement à l'envers.
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23:39 Publié dans Entretiens | Lien permanent | Commentaires (0)

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