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18/05/2017

"Qu'en est-il aujourd'hui du bonheur ?", une analyse de Kostas Axelos (1924-2010)

Oser regarder les yeux du sphinx

Même quand le bonheur surgit dans ses éclats, il est également travaillé par le malheur. Toutes les thèses posant comme principe suprême ou réalité imbattable le bonheur ou le malheur, toutes les tentatives de privilégier l'un aux dépens de l'autre, de nier l'un ou l'autre ou de les relier grâce à une prestidigitation dialectique, tournent le dos à la question : non pas identiques, bonheur et malheur manifesteraient-ils des aspects du même qui inclut le différent ? 
Néanmoins il faut avouer une sorte d'omniprésence du malheur qui est toujours là - dès l'aube de l'humanité semble-t-il. Les éclairs de bonheur restent toujours brefs. L'ensemble du monde (en tant qu'ensemble de la nature et de l'histoire) est-il nécessairement gris ? Ne comporte-t-il pas aussi des pans entiers de l'horizon qui s'ouvre, à nous, humains, quitte à se réformer ?

Si le malheur en (et autour) de l'homme le presse toujours "en avant", cela se fait au nom du bien, devenu impensable, impraticable, injouable ? Ce qui n'empêche pas l'errance universelle ou les catastrophes particulières. Un autre rapport au monde pourrait indiquer un autre cheminement, par-delà tout optimisme ou pessimisme, par-delà toute tragédie ou comédie. Peine, souffrance, douleur, tristesse, angoisses, impasses, insignifiances et misères sont-elles des constituantes de ce qu'on appelle la vie et n'y a-t-il que quelques réformes pour remédier aux mots ? Nous avons pourtant indiqué, très brièvement, qu'un autre rapport au monde pourrait être considéré comme nécessaire tout en demeurant inévitablement fragmentaire. Ce rapport pourrait-il métamorphoser aussi notre rapport au contentement, voire à la joie, à la satisfaction, ou à la sérénité ?

Sans chercher le fondement dans quelques-unes de ces attitudes ou situations, sans unitarisme et sans dualisme, qui oserait s'engager dans un chemin dont les ouvreurs seraient quasiment clandestins, que tous les establishments - même anarchisants - repousseraient ou ignoreraient ? Poser cette question, la question, la question de l'Un-Tout, revient à poser également la question du bonheur et du malheur. Nul ne peut prévoir le surmontement du règne de la représentation et de l'imaginaire, de la simulation et du mirage, de tout ce qui va avec la dominance démocratico-tyrannique de la production-consommation.

Oser regarder les yeux du sphinx demeure extrêmement difficile. D'ailleurs le sphinx n'est pas le pilier du bonheur ou le secret du malheur. Ses yeux regardent loin, dans un monde dont la fin n'en finira pas de finir. Une certaine poéticité à laquelle nous pourrions amicalement nous ouvrir, cette amicalité n'excluant pas toute combativité, un jeu plus souple entre les fragments du monde pourrait-il rendre la vie moins invivable ? Bonheur ou malheur ne se laissent pas séparer ou affronter spéculativement.  Nous avons toujours à intervenir aux points critiques du malheur, là au moins où cela nous est possible, à ne pas confondre, culturellement, frivolité ou éclaircie de joie.

Car si le malheur accable l'homme, seul fragment souffrant de l'univers, l'énigme du malheur radical et multiforme n'a jamais été prise en vue, d'aucune façon que ce soit. Le bonheur n'a pas trouvé non plus une explication. Il arrive par moment à la bonne heure, comme un moment de métamorphose. Ne sera-t-il pas toujours possible de voir un enfant qui regarde joyeusement la chute d'une étoile, et attend en même temps d'autres étoiles qui vont se lever ?

                                                                      Kostas Axelos

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