27/02/2016
Charles Juliet rend hommage à Christian Bobin
Après l'hommage de Jacques Réda à Christian Bobin, c'est Charles Juliet qui nous fait le plaisir de parler de l'auteur du Huitième jour de la semaine :
"Autant que je le dise d'emblée : j'apprécie hautement ce qu'écrit Christian Bobin. Et j'ai pour lui l'amitié la plus vive.
Sa parole si claire, si aisée, si confiante - une parole dont on a envie de dire qu'elle coule de source - semble être celle d'un enfant. D'un enfant émerveillé, qui aime profondément les êtres, la nature, le monde. Il l'a noté lui-même : "c'est la parole d'enfance, c'est le chant simple." Et ce chant est d'une si rare fraîcheur, il le murmure d'une voix comparable à nulle autre.
La vie qui le traverse le maintient en un état de perpétuelle émotion, et c'est cette émotion que la moindre de ses phrases nous communique. Il capte ce qui frémit dans sa part la plus enfouie, et lorsque nous le lisons, il nous fait découvrir ce qui gisait au plus noir de notre nuit et dont nous n'avions pas conscience. Ainsi allume-t-il en nous de brusques brasiers, et la lumière qui en jaillit se mêle à la douce et apaisante lumière qui nous vient de ses mots.
Riche de beaucoup d'amour et de sensibilité, Christian écrit dans une langue d'une extrême simplicité des textes porteurs d'une forte charge d'humanité (attention portée à autrui, gravité, compassion) - des textes qui nous concernent intimement et nous emplissent de ferveur. Pour ces raisons, nous pouvons affirmer qu'il est un vrai, un grand poète.
Charles Juliet
* *
Guillaume Guillaume
Guillaume Guillaume
la bonté passe au ciel d'hiver
le berger bleu
et son troupeau de neige
Comment disais-tu Guillaume
la bonté immense contrée
où tout se tait
il fait si froid dans nos paroles
et les anges font du patin
sur notre âme gelée
Guillaume Guillaume
La poésie c'est inutile
c'est bien pour ça que c'est utile
Les poètes récoltent un silence
aussi blanc que du sucre
il fond dans nos amours
pour leur enlever toute amertume
Guillaume Guillaume
un doigt de marbre aux tempes d'or
une rose verte entre les dents
si pur ton chant si fine ta voix
qu'elle fait rougir les anges
sous leurs robes de coton
Guillaume Guillaume
Les hommes sont lourds trop lourds
de vrais petits soldats
de plomb
et leurs femmes sont légères si légères
un sourire une larme un rien les habille
et puis les déshabille
Guillaume Guillaume
que sont nos amours devenues
nageuses à leur miroir
colombes à leur ciel pâle
La souris les a mangées
en a fait trois bouchées
une pour le roi une pour la reine
la troisième pour le diable
Guillaume Guillaume
celui qui chante n'a plus de nom
celui qui aime a tous les sangs
Guillaume Villon Guillaume Verlaine
Guillaume Apollinaire
avec un A avec un R
avec le temps qui passe
pour un seul titre de noblesse
Guillaume oh Guillaume
l'adulte est un grand mort
porté par un enfant
tout au clair de la lune
et quand l'enfant se lasse
et dit j'arrête j'ai trop sommeil
l'adulte se lève et met l'enfant en terre
et les deux disparaissent
le soldat et le petit garçon
le mort et le vif
Guillaume Guillaume
ton âme gantée de blanc
tes doigts tachés de nicotine
une hirondelle à ton épaule
comme tu as fière allure Guillaume
comme elles sont parfumées
les vendanges à ton coeur
quand vient la nuit
quand sonne l'heure
Christian Bobin
21:36 Publié dans Christian Bobin | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.