01/06/2018
La perception du moi dans l'espace, par Henri Michaux
On est peu de chose. Notre idée de l'espace, notre impression d'une nouveauté en art, une artériole bouchée, peuvent en être la cause. Michaux l'a éprouvé un jour au cinéma (Une foule sortie de l'ombre). Le film l'avait étonné par ses déformations d'images. Cet "infini s'abouchant avec le fini et s'y écoulant", n'était-ce pas l'explosion cubiste en peinture ? Or Michaux souffrait simplement d'un trouble circulatoire de l’œil. Il en fut quitte pour l'éblouissement. La révolution du septième art, ce serait pour une autre fois !
Un état d'âme, une saute d'humeur peuvent aussi modifier nos perceptions. Dans un hôtel moderne, par grosse chaleur, le poète éprouve comme un remords, une légère hostilité ; et voilà que la réalité se mine, la ville se désagrège. Une autre fois, ce sera l'inverse : un petit instrument de musique africain, dont Michaux n'avait perçu jusque-là qu'un : "cra-cra dévastateur de corbeau", sans note concertante, des "torchons sonores", lui est devenu supportable, presque suave, grâce au découragement rageur, batailleur, où il l'a plongé. Une lame plus crissante que d'autres, évoquait et provoquait chez lui le refus de s'attendrir (si fréquent en musique), à vaincre une incrédulité première, pour entrer dans le réceptif...
L'âme du poète est plus insatiable que le corps, mais elle hérite de sa maladresse. Par horreur de la routine pétrifiante, elle se laisse envahir, traverser, dissoudre, métamorphoser, martyriser. Le moi devient ingérable. Même le je qui tient la plume doute de sa réalité, de son pouvoir.
Les malheurs de Plume (à prendre dans tous les sens du terme : ce qui est léger d'apparence mais aussi ce qu'anime la main du scripteur) mettent en comédie toute intériorité dans ce qu'elle a d'inassemblable, nostalgique, et inquiète d'une plénitude possible. L'Autre n'est pas plus rassurant, avec son visage sans cesse braqué, tonnant. Comme pour ce qu'il en est des voyages dans leur effet délocalisateur, nos semblables ont surtout le mérite de nous donner le sentiment d'être étranger à nous-même. DM
Henri Michaux, gouache inédite, 24 x 32 cm, 1951
Double portrait, photo de Claude Cahun
10:02 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
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