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06/04/2017

"Ce peu de bruits", de Philippe Jaccottet, éditions Gallimard, 2008

Sous un titre qui résume à lui seul l'essence d'une œuvre, la philosophie du recueillement et l'éthique de l'effacement qui l'habitent, Philippe Jaccottet, à plus de quatre-vingts ans (il est né en 1925), nous donne Ce peu de bruits, un ensemble de proses nourries de détresse et d'un sens du tragique qu'il se refuse de servir. Confronté à une série de deuils successifs, et se sentant lui-même "glisser sur une pente de plus en plus scabreuse", il y dit les ravages de la douleur mais aussi les sursauts de l'espoir. Errant parmi les ombres innombrables de morts, "toutes ces chutes dans le noir", et "la pluie froide comme du fer", il se sent comme au fond d'un ravin.

Totalement désemparé dans un premier temps, méditant sur la figure d'une condition humaine vouée à la mort ("Ce qui est radicalement sans issue, imparable, inéluctable. Tel est le combat, radicalement inégal, de l'agonie"), il dit comment peu à peu il a réussi à remonter la pente, à surmonter l'épreuve, et "à défaut de rien comprendre, et de pouvoir plus", comment et grâce à quoi, il a réussi à se convaincre "qu'il ne faudrait pas se tourmenter avant le temps, se laisser hanter par ce qui n'est pas encore, si menaçant, imminent que cela puisse être". Oui, écrire encore, "pour protéger, réchauffer, réjouir, même brièvement".

Comme sait le faire la musique, la dernière sonate de Schubert, par exemple, qui aide à tenir "inexplicablement debout, contre les pires tempêtes, contre l'aspiration du vide". Ou comme ces brèves merveilles qui éloignent un peu du froid, qu'il s'agisse du chant du rossignol qui "ruisselle vers le haut", des églantines "si brèves, si claires, presque impondérables et pour lesquelles on donnerait tous les rosiers du monde", ou de la "petite âme en chausson de fourrure" que peut-être la chatte.

Et puis il y a l'essentiel compagnonnage des poètes aimés (Leopardi, Montale, Hölderlin, Hopkins, Keats, Goethe, André du Bouchet, le Peter Handke des Carnets...) chez qui il cherche sinon des preuves au moins des linéaments de preuves qui, sans affirmer que la vie a un sens, vont contre le fait que rien n'aurait de sens. Ainsi cette magnifique citation de Kafka où Philippe Jaccottet n'hésite pas à voir l'utopie du poète. "Il est parfaitement concevable que la splendeur de la vie se tienne à côté de chaque être et toujours dans sa plénitude, mais qu'elle soit voilée, enfouie dans les profondeurs, invisible, lointaine. Elle est pourtant là, ni hostile, ni malveillante, ni sourde ; qu'on l'invoque par le mot juste, par son nom juste, et elle vient. C'est là l'essence de la magie, qui ne crée pas, mais invoque".

C'est le tact rare de l'homme de regard qu'est Jaccottet, son sens de l'infinie richesse du peu, sa capacité d'émerveillement et de saisie qui donne à ce livre écrit sur fond de désespoir, sa lumière et son halo de salutaire sagesse.

                              Richard Blin (Diérèse n° 43, hiver 2008, pp. 222, 223)

19:19 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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