01/07/2015
"Guidée par le songe", de Béatrice Beck (1914-2008), éditions Grasset
Guidée par le songe rassemble l'intégralité des nouvelles écrites par Béatrice Beck, soit Recensement (1991), Vulgaires vies (1992), Moi ou autres (1994) et Prénoms (1996). L'univers exploré par ces courts récits présente une variété d'autant plus déconcertante que le style, primesautier, jamais ne s'appesantit. Difficile donc de cataloguer un écrivain qui s'attache avec un égal intérêt à brosser la vie de bourgeois, de commerçants ou de petites gens, à faire parler les morts, les gargouilles et les nains de jardin !
Une catégorie de nouvelles, qu'on pourrait qualifier de réalistes, évoquent couples et familles rassis par le gain et l'indifférence (Triplex, Bazar Demême, Un couple imparfait). Chacun se débat seul jusqu'à la mort qui ne fait verser que larmes de crocodile. L'affection se niche là où on ne l'attend pas : Stanislas Lenclume, octogénaire amoureux d'une gargouille, la dactylographe attachée au lézard de passage dans sa maison, Marjorie entichée de sa belle-fille. Quant aux gens de peu, clochards ou presque, on se souvient d'eux comme les enluminures des vies de saints. La vie défile et personne n'a le temps de s'attarder. Béatrice Beck fait le recensement des mille et une manières d'agrémenter les jours jusqu'à l'échéance ultime.
Chacun y va de ses rêves, désillusions, expédients et philosophie de quatre sous. La réalité est souvent grinçante et c'est le style qui fait avancer la pilule. Les jeux de mots et dictons populaires façonnent un style proche de l'oral. Béatrice Beck possède une verdeur, une saveur acidulée qui fait sourire des situations sordides. L'auteur décrit l'humanité par le petit bout de la lorgnette, sans en avoir l'air, comme un passant distrait qui commente le monde sans se prendre au sérieux. Et pourtant tout est là des vies ordinaires, étriquées ou illuminées par une grâce modeste, tout y est jusqu'aux faits divers, réels ou inventés.
D'autres nouvelles relèvent du genre merveilleux. Elles bousculent les certitudes, questionnent avec légèreté le sens de l'existence. Les morts se mêlent de dire leurs quatre vérités aux vivants, l'âne et le boeuf de la crèche philosophent, Dieu et Adam devisent, un personnage perd son identité, un autre se prend pour le Créateur. Les enfants n'en finissent pas d'interroger les adultes que tant de curiosité embarrasse, eux qui ont depuis longtemps cessé de se poser des questions. Qu'il s'agisse du temps, de la mort ou du sexe, il est toujours question de l'Autre, c'est-à-dire de Dieu dont le silence ou l'absence scandalise. Le sacré se cache dans la générosité et la fantaisie des coeurs simples qui tentent de s'accommoder des finitudes humaines.
Anne Thébaud
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