241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24/02/2021

La communion de l'homme et de la nature, dans "Le Jardin exalté", d'Henri Michaux

   ... Car ces débordements passionnés avaient lieu au sommet d'un arbre (et je ne m'en étonnais pas), sur un vieux noyer, à la couronne large, si rare en cette essence, couronne double presque triple, quasi sans exemple, troupe dont chaque membre, infatigablement excessif, se précipitait en avant, se retirait, se reprécipitait sans repos.

   Exaspération sans personne, où toutes les parties, branches, feuilles et rameaux étaient des personnes et plus que des personnes, plus profondément remuées, plus bouleversées, bouleversantes.

   Individuellement, non communautairement, dans un rythme accéléré, où le vent réel ne paraissait pas pourtant le principal.

   Feuillage s'inclinant bas, rapidement, puis fougueusement remontant, puis ramené en arrière, puis repartant inlassable, pour l'inlassable dépassement, froissé, défroissé presque sauvagement, cependant en vertu d'une sorte de consécration, avec une grandeur unique.

   Beauté des palpitations au jardin des transformations.
   Assouvissements et inassouvissements partaient de l'arbre aux ravissements.
   Appels aux assoiffés, appels enfin entendus, exaucés. Le supplément attendu depuis toujours était reçu, était livré.

   L'infini chiffonnage - déchiffonnage trouvait sa rencontre.

   Et s'ouvrait, se refermait le désir infini, pulsation qui ne faiblissait pas.
   Entre Terre et Cieux - félicité dépassée - une sauvagerie inconnue renvoyait à une délectation par-dessus toute délectation, à la transgression au plus haut comme au plus intérieur, là où l'indicible reste secret, sacré...

Henri Michaux

* * *

Ndlr : c'est ici le dernier texte de Michaux sur la drogue, après la parution de "Par surprise"  le 24 mai 1983. Il m'a paru intéressant de donner en raccourci le parcours du poète jusqu'à son terme (Henri Michaux vient alors d'avoir 84 ans) sur les voies d'une énergie intérieure libérée, au fil de la moindre impulsion jusqu'à la plus vive, la moins prévisible, partant la plus délectable : "Là où la personne rejoint l'univers". Il n'y a pas chez le poète simple désir de s'extraire de son carcan existentiel pour jouir en spectateur de ce qui s'offre à lui mais bien celui d'accéder à l'essence des sensations dans leur surgissement et de les reconnaître pour telles sur le chemin de leur apparition, aussi fugitives en soient les ondes quand elles traversent l'être, le renouvelant de l'intérieur.

Le 8 août 1983, Michaux reçoit ces mots de Joyce Mansour à propos de son petit livre : "J'ai eu très peur en vous lisant. Vous êtes allé si loin sur le chemin du Soufi, n'est-ce pas ? J'ai eu vraiment peur en pensant par où et comment vous êtes passé. J'ai eu vraiment peur. Vous effleurez des choses si secrètes comme ça, du bout du pinceau. Heureusement vous êtes là au bout du fil des jours qui relie tant bien que mal l'oreille à la ville.
Je vous envie ce voyage-là. J'ai peut-être entrevu l'arbre immobile dans la tourmente, l'arbre furieux dans le silence, loin derrière les gigots et la palissade de la santé quotidienne. Assez pour reconnaître le danger de l'entreprise, la beauté du paysage et la sérénité du voyageur." in La Pléiade, tome III, pages 1825-1826.

Les commentaires sont fermés.