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23/08/2015

"Conversations avec Joseph Brodsky" de Salomon Volkov, éditions du Rocher, "Anatolia"

René de Ceccaty nous parle aujourd'hui de la vie de Joseph Brodsky, poète russe dont une partie de l'oeuvre reste inconnue aux lecteurs français... Ses Conversations ont été traduites par Odile Melnik-Ardin. Suivra un entretien avec l'auteur.

 

Joseph Brodsky déjeunait avec John Le Carré, dans un restaurant près de la maison d'Alfred Brendel, qui l'hébergeait alors, quand il apprit qu'il venait de recevoir le prix Nobel.C'était en octobre 1987. Il avait 47 ans, il vivait en Occident depuis 1972. Son nom était mondialement connu depuis 1964, grâce à l'activité des dissidents qui avaient, par des samizdats, fait savoir à l'intelligentsia de tous les pays qu'un jeune poète de 24 ans, ami d'Anna Akhmatova, était victime d'un harcèlement politique sans précédent, pour "parasitisme".

Joseph Brodsky fut d'abord interné, puis déporté, enfin expulsé. Sartre, en 1965, lui-même très embarrassé, s'adressa au président du présidium du Soviet suprême pour dire qu'il commençait à baisser les bras : il n'arrivait plus à défendre la bonne foi du communisme contre les attaques des "calomniateurs". La lettre, assez drôle et pathétique, est publiée par Salomon Volkov dans son monumental Saint-Pétersbourg, trois siècles de culture, équivalent du Danube de Claudio Magris pour la culture pétersbourgeoise.

Volkov a fait la connaissance de Brodsky avant son expulsion au début des années 1970. Ce musicien, qui publia plusieurs essais et entretiens autour de la musique, devait ensuite pendant une quinzaine d'années rencontrer régulièrement le poète à New York, où ils s'étaient installés tous les deux. C'est un document exceptionnel, étant donné la connaissance partagée qu'ils ont de la littérature et de la vie politique russes.

Brodsky, marqué par sa première jeunesse très aventureuse - il interrompt ses études à quinze ans, devient employé à la morgue, part en expédition pour chercher de l'uranium, tente de quitter le pays en avion pour aller en Afghanistan, et surtout rencontre Anna Akhmatova, qui va bouleverser sa vie intellectuelle -, n'est pas un "littérateur" au sens habituel du terme. S'il a une science très sûre de la poésie et de ce qu'il cherche en elle, il parle peu et assez mal de sa propre création, dans un mélange de morgue et de simplicité négligée. Ce n'est donc pas l'aspect le plus intéressant de cette longue conversation.

En revanche, son admiration pour les autres le stimule beaucoup : les pages consacrées à Akhmatova, Tsvetaieva, Frost, Auden, Cavafy montrent quel remarquable professeur de littérature comparée il devait être (encore que ce qu'il dit de la poésie française fasse un peu frémir...). Son émotion devant la langue anglaise lui inspire quelques passages étonnants. Quand il entend parler le poète Stephen Spender, avec l'accent d'Oxford, il croit s'évanouir... "Peu de choses m'ont impressionné à ce point, la terre vue du ciel, peut-être. Alors j'ai compris immédiatement pourquoi l'anglais était la langue d'un empire. La langue-outil de la communication est l'origine de tous les empires au même titre que le système politique ; la langue rassemble."

Brodsky devait mourir quatre ans après ces derniers entretiens, en 1996. L'éditeur français, Samuel Brussel, qui fut aussi son ami, lui rend en postface un émouvant hommage.


                                                                                
René de Ceccaty

11:42 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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