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14/10/2017

Jean-Michel Maulpoix "Du Lyrisme", José Corti éd., 448 p. Deuxième partie

Bernard Leclair : En fait, vous montrez bien que le néologisme, s’il apparaît en plein romantisme, ne commence vraiment à être employé qu’à la fin du romantisme, dans une distanciation critique.

Jean-Michel Maulpoix : Le mot apparaît en effet au moment où le romantisme engage sa propre critique, en particulier chez Flaubert qui est le premier à faire du néologisme un usage significatif, dans sa Correspondance. C’est en prenant la mesure de cela que j’ai commencé à m’opposer à l’entente courte et évasive de la notion, celle qui ne voit dans le lyrisme qu’une espèce d’effusion, d’expression sentimentale complaisante. Aujourd’hui encore, Christian Prigent par exemple assimile le lyrisme à la "béance heureuse du moi", ce qui n’est pas sans intérêt relativement au travail de "dégazage" de l’âme qu’entend opérer son écriture. En tout cas, je me suis efforcé pour ma part de démarquer le mot du sentimentalisme qui lui est attaché, de démontrer que le lyrisme ne se réduit pas aux fleurs bleues de l’écriture.
Mon premier travail fut de ramener la notion du côté du sublime ; pour cela il suffisait d’ouvrir le Littré qui propose comme première définition : "caractère du style élevé, des inspirations solennelles, le lyrisme de la Bible. On peut difficilement dire que la Bible soit le lieu des effusions personnelles ! Ensuite, je me suis aperçu de l’importance d’un deuxième sens, tout aussi essentiel : l’idée de circulation et d’énergie. Ainsi, lorsque Flaubert parle du lyrisme, il le compare volontiers au mouvement du sang. Cette idée d’animation, de chaleur, significative de la façon dont les mots nous viennent parfois en abondance me semblait d’autant plus intéressante qu’elle s’opposait à l’humeur stagnante de la mélancolie. En troisième lieu, j’ai observé que ce mot de "lyrisme" a d’emblée été partagé entre un sens positif et un sens négatif : on monte jusqu’au lyrisme, c’est le chant, et l’on tombe dans le lyrisme, c’est l’emphase, le pathos… La notion est clivée dès le départ, elle désigne une menace autant qu’une ambition, elle signifie le risque que prend le poète ou le poème. Enfin, le dernier point sur lequel s’effectue ce ressaisissement de la notion concerne l’importance qu’y conserve la fameuse donnée subjective. Comment articuler celle-ci à la question du sublime et de la chaleur du discours ? Ce n’est pas par hasard que l’on assimile si facilement le lyrisme à l’expression du moi : l’émergence du néologisme est précédée par la longue histoire de la poésie lyrique…

Bernard Leclair : Au fil des exemples que vous fournissez, on aboutit à une idée du lyrisme qui serait presqu’inverse à sa perception stéréotypée : ce ne serait plus l’expression de la béance du moi, mais au contraire l’arrachement à cette béance, une tentative de s’arracher au "moi" pour atteindre le "je" et prendre la parole. 

Jean-Michel Maulpoix : Surgit alors aussi bien la part de l’altérité que celle de l’impersonnalité. Ce que j’appelle la soif ! L’essai que j’avais consacré au lyrisme contemporain dans un précédent livre, La Poésie comme l’amour, s’intitulait "Comédie de la soif". Il reprenait le titre d’un fameux poème de Rimbaud dont toute l’œuvre me paraît se demander "comment boire ?". Ne pouvant se désaltérer, Rimbaud prend le parti de l’altération : on en arrive ainsi au programme du voyant, à l’homme s’implantant des verrues sur le visage, qui en vient à désirer "des liqueurs fortes comme du métal bouillant".


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21:01 Publié dans Le Lyrisme | Lien permanent | Commentaires (0)

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