21/12/2017
Kenneth White opus 4
II°) Une poétique de la lumière et de la blancheur
1°) Le poème au révélateur de la lumière
Le poème whitien accède à son expression la plus aboutie en portant le langage à son point d’incandescence. Par le poème, le langage se dénude, jusqu’à atteindre une blancheur miroitante, une lumière intense et pénétrante.
Dans le poème "L’hiver du monde" du recueil En toute candeur, la lumière est présente mais elle pénètre lentement et difficilement au cœur des choses, comme si elle passait à travers la forêt, à travers la végétation :
Les arbres d’hiver pleurent dans le froid
Les oiseaux sont braves mais chantent sans joie
Le soleil lui-même : un fil de clarté
Ruse ne vaut pas sagesse et bonté 8
Dans ce décor hivernal, une lumière diffuse baigne un paysage sinon hostile, du moins inhospitalier. Le soleil, réduit à "un fil de clarté" égaye la tristesse d’une lande comme endormie sous l’action conjuguée du froid et de la neige. La lumière de ce poème est froide, c’est une lumière hyperboréenne qui s’accorde aux paysages désolés des hautes terres d’Écosse.
Dans "Soir d’hiver", la lumière filtre à travers le givre, elle traverse fugacement la pellicule de glace avant de s’éteindre, telle une épiphanie appelée à disparaître : « Les lampadaires saisis par le premier gel / Ont des moustaches de lumière mais elles se perdent 9 ».
Les "moustaches de lumière" des lampadaires soulignent le caractère incandescent et éphémère du traitement de la lumière dans cette poésie. Elle est un épiphénomène, une apparition au même titre que le poème inscrit la mémoire dans la précarité d’une invention langagière.
Le poème "Beinn Airidh Charr" du recueil Terre de diamant illustre le statut d’une poésie qui s’est donnée pour tâche de capter les beautés du monde et les moments de grâce :
Il est une substance plus froide et plus claire
au-delà de cette ignorance
ce sont ces collines, foyer
fécond inaccessible à la pensée
cette lumière qui irradie
aux limites de l’austérité
et aveugle les mots
seulement dans le crâne, par éclairs
une extase glacée.
La lumière qui innerve ce poème rend la luminosité blafarde des journées d’hiver, la presque obscurité à peine déchirée par une lueur hésitante. Une lumière qui "irradie / aux limites de l’austérité", c’est une lumière pauvre, nue qui restitue le sentiment d’appartenance du poète à un monde dépouillé. La lumière est nue, comme le langage du poète qui suggère simplement un sentiment d’émerveillement face à la beauté d’un spectacle aussi beau que celui de la nature. L’idée juste, le mot juste apparaissent quand on ne s’y attend pas : par fulgurance.
La lumière, qui explore toutes les possibilités du spectre dans la poésie whitienne, est consubstantielle à un rapport quasi-viscéral à la pureté virginale de la neige.
2°) Le poème, entre candeur et blancheur
Dès son premier recueil, le poète Kenneth White a manifesté un grand intérêt pour la blancheur des paysages, des lieux, des territoires et des pages.
Dans la section "Poèmes du monde blanc" du recueil En toute candeur (publié en 1964 au Mercure de France), un poème joue le rôle de texte programmatique, incarne particulièrement bien cette poétique de la blancheur précédemment évoquée. C’est le poème "Monde blanc" :
Ce monde d’arbres blancs
Il est là devant moi
Bouleaux devant le gel, nus
Présents, vivants, patents 10
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Alexandre Eyries
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8 Kenneth White, Terre de diamant, Paris, Grasset : collection "Les cahiers rouges", 1983, p 27.
9 Kenneth White, "Hautes Etudes" (Atlantica) dans Un monde ouvert (anthologie personnelle), Paris, Gallimard : collection Poésie / NRF, 2007, pp 167-168.
10 Kenneth White, "Etude dans la montagne en hiver" dans Terre de diamant, Paris, Grasset : collection "Les cahiers rouges", 1983, p 213.
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