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26/01/2019

Quelques pages du journal de Sylvie Huguet

13 janvier


J’ai profité de mon jour de liberté pour retourner voir l’exposition, et cette fois encore je suis resté sous le charme. J’aime l’irréalisme des couleurs, le rouge vif des antilopes et l’outremer des taureaux. J’ai trouvé la peinture qui me parle tant. C’est une détrempe de taille moyenne, environ trente centimètres sur quarante, un groupe de chevaux d’un bleu de jacinthe sauvage, sur un fond jaune pâle où s’incurve un arc-en-ciel. Ils sont au nombre de quatre, et les uns derrière les autres sur toute la hauteur du tableau. Croupes rondes, encolures flexibles, les formes courbes dominent. La tête tournée vers la gauche, ils observent quelque chose qui reste invisible au spectateur. Quel mystère dans ces regards, dans ces profils attentifs que souligne un trait de peinture noire ! Des étoiles, des croissants de lune parsèment leurs corps harmonieux, les inscrivent dans un cosmos paisible et sans fêlure. L’arc-en-ciel relie la terre au séjour des dieux.
Je suis resté longtemps devant ce tableau, devant l’énigme de ces regards fixés sur un au-delà du cadre que j’aurais voulu contempler aussi. J’ai demandé le prix de ces Chevaux fabuleux. Au-dessus de mes moyens, bien entendu. Je suis rentré chez moi pensif, encore immergé dans ma vision. J’aurais voulu la partager avec Monique, mais elle n’y a vu qu’un témoignage de mon immaturité lunaire, dont elle s’efforce de me guérir depuis que nous sommes mariés. De nous deux, c’est elle la plus réaliste, la plus rationnelle. Sans elle, je me serais dissous dans un amateurisme bohème, je n’aurais peut-être même pas passé de concours. Grâce à elle, j’ai aujourd’hui un couple solide, un appartement spacieux, un métier stable où je peux employer mes talents, un enfant bientôt, et des projets d’avenir. Bien sûr, j’aimerais parfois partager plus encore avec elle, mais je me heurte à un paradoxal rideau d’indifférence, alors qu’elle a tout fait pour me conquérir. Pourtant mon sort est enviable. Oui. Et s’il m’a fallu ce soir veiller jusqu’à minuit pour corriger des devoirs, je ne dois m’en prendre qu’à moi-même : j’ai perdu trop de temps cet après-midi.


Sylvie Huguet

08:46 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

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