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28/01/2019

Quelques pages du journal de Sylvie Huguet

20 janvier


J’ai tenu toute une semaine, mais ce matin j’ai senti au réveil un besoin si poignant de revoir Chevaux fabuleux que je n’ai pas résisté. Je crois que j’avais encore rêvé, sans souvenir de mon rêve. Seule me hantait la crainte que le tableau fût vendu. Je suis donc retourné à l’exposition, où heureusement il se trouve encore, mais pour peu de temps puisqu’elle s’achève dans deux jours. J’en ai éprouvé le choc d’une perte prochaine, qui m’a poussé à une contemplation d’autant plus ardente. Encore une fois, j’ai donc posé mon regard qu’aiguisait une nostalgie anticipée sur ces chevaux couleur de jacinthe, sur leur profil apaisé que souligne un cerne noir, j’ai tenté de percer le secret de leur immobilité bleue. Mais la presse des visiteurs, plus nombreux que d’habitude, gênait ma concentration. La foule m’indispose vraiment de plus en plus, et ce n’est pas sans angoisse que je songe au pullulement des mégapoles que les décennies prochaines vont croître sans mesure. Cauchemar des terres où foisonne un grouillement humain multiplié qui les épuise toujours plus, et qui multiplie aussi le visage de la bêtise au regard trouble, avide de pop-corn et de jeux télévisés.
Je me suis arraché au tableau comme on tranche dans la chair vive, et j’ai quitté la salle sans me retourner, concentré sur l’impression de perte qui se creusait en moi. Je me sentais dépouillé d’un bien à peine entrevu, et pourtant plus précieux que tout, dont je ne ferais jamais le deuil. Mais à qui en parler, à qui confier la détresse où me plongeait la fin de l’exposition ? Qui serait capable de comprendre ? Monique était la dernière à qui je pouvais songer. J’étais si troublé que je remettais en cause mes choix essentiels. Je me suis surpris à me demander si je souhaitais vraiment être père, si je n’avais pas seulement modelé mon désir sur celui de ma femme. A quoi bon faire naître un enfant de plus, qui ajouterait à l’encombrement du monde ? Ma pensée s’égarait sur des chemins dangereux.
De retour chez moi, je suis revenu à des sentiments plus normaux, mais le vide de la perte est toujours incrusté dans mon cœur.


Sylvie Huguet

13:02 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

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