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25/12/2019

Rainer Maria Rilke : "Note sur la mélodie des choses", 1898, traduction de Bernard Pautrat

Un poète essentiel, brillant dès ses premiers écrits (ou ses Notes de jeunesse) qui figurent dans le cinquième volume de ses Oeuvres complètes (Insel-Verlag, 1965). En 1898, Rilke a rencontré Lou Salomé et il a commencé à partager sa vie. Au printemps 1898 il visite l'Italie, Florence, ses musées, ses églises; dans la contemplation des maîtres anciens, il s'éduque le regard. Et s'adresse à un interlocuteur qui pourrait bien être son lecteur, qu'il voudrait associer à sa quête, comme témoin de la sienne. Il s'agit de mettre à jour "une certitude tranquille née de la simple conviction de faire partie d'une mélodie, donc de posséder de plein droit une place déterminée et d'avoir une tâche déterminée au sein d'une vaste œuvre où tous se valent, le plus infime autant que le plus grand." :


I

Nous sommes au tout début, vois-tu.
Comme avant toute chose. Avec
Mille et un rêves derrière nous et
sans acte.


II

Je ne peux penser plus heureux savoir
que cet unique-ci :
qu'il faut devenir un initiateur.
Un qui écrit le premier mot derrière un
séculaire
tiret.


III

Cela me vient en observant ceci : que nous en sommes encore à peindre les hommes sur fond d'or, comme les tout premiers primitifs. Il se tiennent devant de l'indéterminé. Parfois de l'or, parfois du gris. Dans la lumière parfois, et souvent avec, derrière eux, une insondable obscurité.


IV

Cela se comprend. Pour distinguer les hommes, il a fallu les isoler. Mais après une longue expérience il est juste de remettre en rapport les contemplations isolées, et d'accompagner d'un regard parvenu à maturité leurs gestes plus amples.


V

Compare une fois une image du Trecento sur fond d'or avec une des nombreuses compositions plus tardives des maîtres anciens italiens, où les figures se rencontrent pour une Santa Conversazione devant l'éclatant paysage dans l'air léger de l'Ombrie. Le fond d'or isole chaque figure, le paysage luit derrière elles comme une âme qu'elles ont en commun, et d'où elles tirent leur sourire et leur amour.


VI

Puis remémore-toi la vie même. Souviens-toi que les hommes ont maints gestes bouffants et des mots incroyablement grands. S'ils étaient, serait-ce un instant, aussi calmes et riches que les beaux saints de Marco Basaiti, tu devrais trouver derrière eux aussi le paysage qui leur est commun.


Rainer Maria Rilke

20:59 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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