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22/03/2020

Journal du confinement II

Qu'en dire, qu'en penser ? Vivre est une aventure, tout d'abord. Essentiellement ; et son but, dès l'origine nous est inconnu, ou presque. Il me souvient d'une chaleur blanche qui flottait, peut-être était-ce le vent qui remuait ainsi la lumière, de l'intérieur ? Nous avancions sans rien dire, c'était interminable. Tout était figé, irréel. Personne dans les rues, pas de voitures. Nous marchions, le mur blanchâtre à droite reculait, insensiblement, du côté de Bercy. Nous n'étions pas tout à fait irrités, pas tout à fait résignés ; c'était un malaise sans violence, qui durait. La marche devenait sans cause. Est-ce que nous arriverions jamais, est-ce que notre vie était ou serait enfin autre chose que cette marche, un dimanche d'été, le long d'un mur dont nous n'apercevions pas la fin ?

Nous nous sommes promenés longtemps. Rien n'est venu. Nous étions inhabités. Des acteurs après la pièce. Il n'était pas jusqu'à cette douceur autour de nous - on eût dit un printemps attardé - qui ne nous écartât l'un de l'autre. C'était un monde étrange où nous ne pouvions vivre. Il ne restait rien. La tête baissée, le souffle court, chacun marchait dans son image ou son vide familiers. Parfois l'un de nous faisait une remarque anodine sur le joli point de vue, puis le silence reprenait. Les eaux commençaient à se retirer. Et nous parvinrent des cris d'oiseaux du haut de quelques platanes, d'oiseaux qui semblaient vouloir partager avec nous une histoire. Mais voici qu'approche l'Heure des métamorphoses. Près d'un square désert, deux portes bleu sombre sous un mur aveugle : c'était beau, j'y voyais le flux monter, en moi, en toi, en nous. Ton visage.

Pas à pas, tout renaît à mesure, sans crier gare : nos aspirations, nos fumées, nos erreurs, nulle envie de les renier mais de leur rendre grâces, pour cette charge émotive toujours présente. Et, de l'autre côté d'un fleuve, la Seine, j'observerai les pas de celui que je fus. Ceux qui me mènent à cette heure sont-ils plus légers ou plus lourds ? Je ne le sais. Mais, d'ombres en ombres : là, un peu de rose, au fond d'une cour, l'explosion folle d'un forsythia ... On voudrait de tout pouvoir faire un chant, à la manière des poètes ; aussi bien de ce qui nous accable, de ce qui nous comble, du murmure, de la plainte, de ce qui reste au fond de soi, après coup.
Il se dit que tout instant qui n'est pas tourné vers la grandeur est vain. Qu'il soit donc : à l'oreille, à peine une chanson, vague et d'on ne sait d'où venue ; à deux doigts de revivre, le toucher d'un éventail à plumes blanches, sur la table de merisier, qui continuerait à bouger doucement, à l'image d'un cœur, absolu.    Daniel Martinez

18:31 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)

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