23/03/2020
"Un autre monde", de Bernard Demandre, tapuscrit à paraître dans "Diérèse"
Chers toutes et tous, avec vous par la pensée ces temps-ci et requis par ce terrible mal qui nous frappe (dont on a pas fini de parler, malheureusement), je vous livre les premières lignes du journal d'hospitalisation de Bernard Demandre, dont la disparition m'a plongé dans la peine, vous n'êtes pas sans le savoir. Son Journal, qui paraîtra in extenso dans Diérèse, n'a rien d'un exercice stylistique comme pour le baroque Eric Chevillard (cf son Journal du confinement, en cours). Bien plutôt, il suit l'évolution de sa maladie, analyse l'environnement qui fut le sien, la désespérance et l'attente de jours meilleurs, in fine... Par respect pour les siens, je ne dirai évidemment pas un mot de ce dont il souffrait, qui l'a rongé de l'intérieur, la morphine ayant atténué ses souffrances dernières. Je vous rappelle que le numéro 78 qui lui est dédié, ne paraîtra qu'en mai, l'imprimerie à laquelle j'ai confié le travail (BAT validé in extremis, pour 306 pages à venir) ayant été contrainte de fermer... Amitiés partagées, portez-vous/protégez-vous bien, Daniel Martinez
Prélude
J'écrasai la dernière à cinq heures.
J'ignorais alors ce qui allait s'ensuivre. Comme tout le monde dans un cas pareil, j'imagine. C'est ainsi qu'ordinairement ont lieu des phénomènes auxquels nous ne prenons pas garde, embusqués qu'ils sont derrière la conscience, à peine cachés et dont nous apercevrons, plus tard, qu'ils constituaient des signaux, pour ne pas dire des signes, car ce dernier terme nous renvoie trop à un monde inspiré et religieux. C'était, pour le moins, un avertissement. La chose cependant était d'importance. Je le savais confusément à cet instant, tout en ignorant les conséquences de cet événement, la suite cauchemardesque que les choses allaient prendre, la réalité basculant dans la fantaisie, voire dans la fantasmagorie.
En soi cela ne présentait pas de gravité particulière. Ce n'est qu'après, lorsque la dernière restait toujours la dernière, que je me rendis compte, bien plus tard, en quoi cela était devenu un des tournants les plus importants de ma vie. Je ne suis pas loin de penser d'ailleurs que bien de ces tournants ont été pris, non pas grâce à une suite de raisonnements et de déductions logiques, bien projectives et normales sous tout rapport, mais sur des coups de partielle inconscience, sans préméditation et sans projet. Des espèces de retournements internes, bouleversements profonds du corps et de la psyché.
Mais à ce moment-là, il était surtout question du corps dans ce qu'il a de plus basique. Le gros défaut de fonctionnement, la panne définitive qui vous oblige à vous immobiliser et à attendre qu'on veuille bien réparer. L'autre solution eût été de tout laisser sur le bord de la route et de continuer...
Bernard Demandre
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