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30/03/2020

"D'un jour à l'autre", de Michel Butor, éd. Hôtel continental, octobre 1987

Michel Butor a publié par trois fois des poèmes dans Diérèse. D'un grande générosité, il prenait soin de joindre à ses envois des collages originaux.

Randonnée

pour Bertrand Dorny


Départ au petit matin. Respiration. Je peine sur la pente. Rencontre d'un lièvre. Rosée sur la menthe. Longues ombres.

La mer au loin. Souvenir d'Italie. La première voiture de la journée. Quel est donc cet air que je siffle depuis un quart d'heure ?

Quelques usines au-delà des marais. Les ponts de l'autoroute avec déjà le grondement que traverse une volée d'angélus venu d'un clocher effilé. Envol d'un geai.

Une clairière de silence. Un poulain près de sa mère derrière la barrière dans le trèfle. Frémissement de rameaux. Une fauvette sur les meubles abandonnés dans une fondrière boueuse.

Le chemin de fer entre les fermes. La course d'un renard. Un camion m'éclabousse jusqu'aux yeux. Je me nettoie dans un lavoir sous une vieille affiche électorale qui se déchire au vent léger.

Les champs labourés, les collines, les cressonnières, le Soleil dans l'abreuvoir. Je m'arrête pour ramasser un silex, quelques plumes de corbeau et un papillon écrasé. J'en compose une nature morte que j'entoure de lierre sur le remblai. Je détache une page de mon carnet pour la dédier au randonneur suivant.

L'approche d'un aéroport. L'envie de retourner en Amérique. D'autres voitures. Le créateur dans un de ses bons jours. D'un côté bleuets, tournesols de l'autre. Des romanichels se retournent sur mon passage.

J'en profite pour déposer mon sac, déballe le repas prévu : saucisson, fromage, olives, quignon, la bouteille de vin, m'asseoir sur une souche à l'ombre du chêne sur le tronc duquel s'appuie mon vélo.

Étendu sur le talus je lève les yeux du livre que je venais de recevoir d'un ami, pour regarder un planeur virer entre les nuages tandis qu'une pie s'approche pour picorer miettes et reliefs de mon festin solitaire.

Puis je m'enfile dans les rues dont presque toutes les fenêtres sont fermées. Quelques chats, pas une âme. Sur la place de la mairie, je déplie ma carte pour étudier la route et m'aperçois qu'il me faudrait accélérer un peu si je veux arriver à ma destination prévue avant la nuit.

La transpiration. Je souffle un peu. Je m'éponge en regardant une mare avec les canards, quelques poules, une chèvre derrière son grillage, et coupée par un appentis de tôle ondulée, dans le creux d'une vallée, la cheminée d'un navire sur l'horizon marin, entourée par les branches tourmentées d'un pommier.

Meules, granges, tracteurs, le sentier qui traverse le petit bois avant de s'enfoncer vers la forêt, le chien qui s'ébroue puis aboie à la rencontre d'une petite vieille effarée, à chapeau de paille vernie noire, qui marmonne récriminations et patenôtres en trottinant.

Les ombres s'allongent. Les premières feuilles de l'automne. Couleurs du soir. La fatigue. L'auberge proche avec son bar et son menu, la compagnie. Un dernier effort. La fraîcheur descend.


Michel Butor

10:52 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (0)

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