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23/12/2020

"L'enfant de la Pythie", de Jacqueline Chénieux, éditions Coprah, 1976 : au 14 Grand'Rue (à Montpellier), 230 ex, les 30 premiers avec une litho originale de Yves Rouvre

L'adolescent gauche et l'enfant gracile que tu étais se donnent la main et sautent à cloche-pied. L'adolescent a le talon dans le plâtre et l'enfant, la tête dans les nuages. Le premier regarde son père en dessous, et ses oreilles sont rouges ; le second se vêt et se dévêt sans savoir quand il faut s'arrêter. L'enfant mince connaît par le menu ce que contient chacune des malles du grenier, il invente des jeux absurdes, et souvent laisse faire aux autres enfants les tâches qu'on lui a confiées : non rouerie, mais indifférence légère. Entre l'âge du rêve et l'âge de la révolte, entre l'enfance et l'adolescence, tu n'as pas connu la sournoiserie. Aujourd'hui, ta colère est limpide ; elle a les yeux gris de toutes les colères, de toutes les révoltes.
Tu as rêvé que tu es séparé de ta famille pour des raisons politiques ; tu es interdit de séjour en France et en Angleterre. Tu dois t'enfuir en Espagne - que tu ne connais pas, en vérité -, et te trouves entraîné par le bruit d'une fête foraine ; des grelots s'attachent à toi. Te voici en attente auprès d'une baraque dans laquelle est en train d'officier une Pythie des rues. La file est longue ; tu prends ton temps, pénétré de patience. Devant toi, on gesticule : un mauvais garçon se voit reprocher par la populace d'avoir trois chemises ; d'ailleurs l'une d'entre elles dépasse sur son pantalon. Il est aussitôt chassé de la file des candides. Pour se venger, il saisit une bouteille à portée de main : elle se fend en deux moitiés parfaites sur l'aura compacte et blanche qui cerne la tête et les épaules de la voyante. C'est ton tour, et tu parles. Sans paroles tu tiens baissée la tête sur une vasque remplie de sang. Ta pensée pénètre en bulles dans l'esprit de la voyante. En échange, elle te livre le jour - tout blanc : tu es réveillée.


La Pythie, jeune femme brune avec un enfant blond, mais c'est elle qui m'a tenu compagnie cet été. Tu ne veux pas me croire, et tu hoches la tête, tes yeux gris fixés sur moi. Nous habitions le haut plateau mort aux bruyères pétries par le vent ; quand nous descendions dans les vallées, parfois nous ressentions des nausées, et les fougères nous paraissaient plantes de terre fécondes. En remontant, les hêtres et les conifères s'agglutinaient en traînées visqueuses, et puis, c'était le basalte, ses orgues sur les tranches abruptes des terres, ses blocs erratiques entourés de cils pâles, herbus. Plus loin, là où il n'y a plus même de troupeaux, les lacs sont blancs. On voit encore des rapaces. Les uns et les autres nous disaient un avenir silencieux.


Jacqueline Chénieux


 

11:42 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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