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13/01/2021

"Jane Eyre", de Charlotte Brontë, traduit par Jules Castier, éditions Stock, 2/4/1947, 686 pages

"Je m'excuse, reprit-il ; la nécessité me contraint à me servir de vous."
Il posa une lourde main sur mon épaule et, s'appuyant sur moi avec effort, rejoignit son cheval en boitillant. Une fois qu'il eut saisi la bride, il la maîtrisa immédiatement et sauta en selle avec une grimace sombre, en faisant l'effort nécessaire, qui lui tordit sa foulure.
"A présent, dit-il, lâchant sa lèvre inférieure, qu'il avait immobilisée en la mordant vigoureusement, passez-moi donc ma cravache ; elle est là par terre, juste sous la haie."
Je la cherchai et la trouvai.
"Merci ; et maintenant dépêchez-vous avec votre lettre et rentrez aussi vite que vous le pourrez."
Un léger coup de son talon éperonné fit d'abord sursauter et se cabrer son cheval, qui s'élança ensuite d'un bond ; le chien se précipita sur ses traces ; ils disparurent tous trois :

     Comme une bergère que, dans la lande désolée,
     Le vent furieux chasse en tourbillon.

Je ramassai mon manchon et reprit ma marche. Pour moi l'incident s'était produit et était fini ; c'était simplement un incident du passé, sans importance, sans romanesque, sans intérêt en un certain sens. Pourtant, il marqua d'un changement une heure solitaire d'une vie monotone. On avait eu besoin de mon aide, et on l'avait sollicitée ; je l'avais accordée. J'étais contente d'avoir fait quelque chose ; tout trivial et transitoire que fût l'acte, il était cependant une chose active, et j'étais lasse d'une existence toute passive. Ce nouveau visage, aussi, était semblable à un tableau tout neuf introduit dans la galerie de la mémoire ; et il était différent de tous les autres qui y étaient accrochés : d'abord, parce qu'il était masculin, et ensuite parce qu'il était sombre, vigoureux et sévère. Je l'avais encore devant les yeux lorsque j'arrivai à Hay et que je glissai la lettre à la poste ; je le voyais, redescendant à pas rapides la côte, tout le long du trajet du retour. Quand j'arrivai à la barrière où s'était déroulé l'incident, je m'arrêtai un instant, j'y jetai un regard circulaire et tendis l'oreille, prise de l'idée qu'un bruit de sabots de cheval pourrait résonner de nouveau sur la chaussée et qu'un cavalier, enveloppé d'un manteau, avec un terre-neuve semblable à un Gytrash, pourraient apparaître encore une fois. Je ne vis devant moi qu'une haie et un saule têtard, se dressant droit et silencieux devant les rayons de la lune ; je n'entendis que l'infini frisson du vent errant par saccades parmi les arbres qui entouraient Thornfield, à quinze cents mètres de là ; et quand j'abaissai les yeux dans la direction de ce murmure, mon regard, traversant la façade du manoir, saisit une lueur qui brillait à une fenêtre. Elle me rappela que j'étais en retard et je pressai le pas.


Charlotte Brontë

17:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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