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23/04/2021

"Elvire figure romantique", de Michel Fardoulis-Lagrange, avec un bois gravé de Jacques Hérold pour les ex. de tête, éditions Hôtel Continental, janvier 1986, 16 p., 251 exemplaires

Le balcon où se tenait Elvire semblait s'incliner toujours vers la nuit tombante et se redresser à l'heure du soleil levant. Par temps de brume d'autres illusions prévalaient, par exemple celle des chemins écourtés ou encore celle d'un grand nombre d'alliances avec des figures jusqu'alors inconnues.
Elvire, en ménageant sa place sur ce balcon, doit conformer ses sens à la lumière des lieux, lumière médiane, réfractaire à l'obscurité comme au grand jour, cependant promise à l'incandescence et sans arrêt contrariée par la contrée montagneuse, pâle en plein midi, submergée par des flots éthérés et bleutés qui envahissent sa propre optique.


Quelque fatalité sans doute incombait à la situation élevée d'Elvire sur le balcon, à sa façon de prêter une hiérarchie aux phénomènes - où les choses en dépit de leur apparente immobilité se mouvaient lentement, adhéraient à leur vecteur pur -, faisant tourner la mémoire autour de sphères diaphanes afin de pénétrer aussi l'homogénéité de leur fond ; point nul où Elvire appréhendait, l'espace d'un instant, sa présence spectrale ; elle avait alors l'âge d'un paysage jamais découvert, recueillant sa lumière diffuse. Elle demeurait pourtant vulnérable en l'absence de causes efficientes, nostalgique à l'égard de ce qui n'arrivait pas à s'incarner pour heurter de front son existence.
Elle s'apparentait d'emblée aux hauteurs, et du balcon son regard s'orientait vers le bas à l'heure où il fallait rejoindre les orientations de la nuit ; l'irruption des puissances maléfiques, illégitimes et en transes, dégorgeant une écume d'essence lunaire.


En réalité, en contemplation devant les saisons, la dilution des faits et des chimères, elle ne peut dénombrer les replis du temps.
Comment alors tenter de pousser son avantage sans être devancé par des forces dont l'éclat est contenu dans le plus petit fragment infrangible de la durée ? Consommation uniquement de l'être dans une ambiance d'absence s'accordant avec une linéarité sans fin et exempte de défaut.


Le rêve d'Elvire comporte les effets d'une aube retardée, aube cependant mûrissante, gagnant sur les phases de sa propension, telle quelle s'associant d'ores et déjà au refroidissement de l'univers.
Pour le moment elle adhère volontiers à son image erratique ; à partir du nombre Un qu'elle incarne elle compose le nombre pair de ses traits. Liens donc resserrés et soupçonneux entre le modèle et son double, et selon l'écart autorisé entre eux au profit de leur récréation et le besoin qu'ils éprouvent à nouveau de se regrouper dans les propriétés de l'Un. Ainsi la présence d'Elvire opère du balcon et finit par accorder les mêmes prérogatives au multiple de l'Un.
De temps à autre des remous dans les feuillages s'efforcent de libérer le paysage de son immobilité ; mais aucun véritable tourbillon ne se produit pendant les longues périodes qu'Elvire domine de son égalité. Les eaux paisibles d'un lac interceptent son image et la lui rendent imprégnée de préceptes panoramiques. Sur le tard des couches diaprées se superposent, résument quelque opacité pour se rallier ensuite à la nuit qui sera allouée à son esprit.


Michel Fardoulis-Lagrange

08:50 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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