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05/05/2021

"Pépiement des ombres : Philippe Jaccottet - Henri Thomas", dessins d'Anne-Marie Jaccottet, éditions Fata Morgana, 30 juin 2018, 248 pages, 26 €

50. Houat, 13 juin 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Je viens de lire, relire, A la lumière d'hiver *, avec la plus profonde émotion. J'ignorais les poèmes à partir de la page 71 ; il n'y a rien dans la poésie de maintenant (de nos jours) qui m'ait autant touché.
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images.
Je vous lisais par un temps de grande attention, dans l'île assombrie par le mauvais temps qui dure depuis trois jours, avec le bruit continuel de la mer. Vos poèmes prenaient place dans ce monde comme par une profonde alliance ; j'étais au centre, avec eux - homme qui vieillit (et vous devance), plein d'une curiosité un peu folle, celle de l'homme seul. Votre livre est le seul recueil de poèmes que j'aie ici ; je crois que je n'en supporterais pas d'autre.
Je songe souvent à l'occasion que j'ai laissé passer de vous revoir à Paris, à la maison de la radio. Hélas, c'est pour ainsi dire caractéristique de moi ; je manque un grand nombre des pierres du gué, je me perds tout le temps. Ici, c'est un peu le refuge - ou même un "bout du monde".
Votre ami - et je vous prie de dire mon souvenir à votre femme,

Henri Thomas

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* Relire, puisque A la lumière d'hiver est précédé de Leçons et de Chants d'en bas.

51. Grignan, 31 août 1977


Cher Henri Thomas,

Je me réconcilierais presque avec ce personnage qu'est [Bernard] Pivot pour vous avoir vu l'autre jour * : une rencontre qu'on aurait aimé prolonger, surtout après les banalités bien-pensantes de [Bernard] Clavel. Cela nous a fait grand plaisir de vous revoir, au moins de cette façon. Et qu'enfin les journaux semblent vous "découvrir" après trente ans, si cela irrite, on s'en réjouit tout de même.
Je vais traduire un livre de Ludwig Hohl ** pour une collection suisse où ont paru des nouvelles de Muschg *** qui, ensuite, ont été reprises par Gallimard. Hohl, qui a 74 ans, aimerait mieux, évidemment, paraître chez Gallimard que dans cette série suisse, ou au moins paraître à la fois chez les deux. Vous savez que son œuvre comporte surtout des aphorismes et des fragments, et deux livres de "narrations" dont la Nächtlicher Weg [Chemin de nuit] prévu dans cette série suisse, et une Bergfahrt [Une ascension] qui est très digne d'admiration. (Je crois que Michaux connaît un peu cette œuvre de Hohl et la tient en grande estime.) Tout cela pour dire que j'aimerais que vous en parliez, ou reparliez, chez Gallimard, ou que vous me disiez à qui je devrais la recommander.
Moi-même, ce n'est pas le genre d’œuvres que je préfère, mais j'en devine la densité et la grandeur. Je crois que Gallimard devrait s'intéresser à l'ensemble, en cours de parution chez Suhrkamp.
Avec ma très fidèle amitié,

Philippe J.

Dites aussi mes amicales pensées à Pierre L. si vous le voyez : je ne sais plus rien de lui depuis trop longtemps.

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* "Ah vous écrivez", émission télévisée diffusée le 26 août 1977 sur Antenne 2.
** Chemin de nuit (Bertil Galland, 1979).
*** Histoires d'amour (Bertil Galland, 1975 ; Gallimard, 1977).

 

52. Paris, 23 septembre 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Georges Lambrichs me suggère que le mieux pour Ludwig Hohl serait sans doute d'en publier un extrait dans La NRF. Je crois qu'il vous écrira à ce sujet. Cela aiderait, dit-il, à le présenter chez Gallimard.
Vous savez, j'y vais rarement (sans rien fuir précisément) mais pour cet auteur, oui, j'aimerais vous aider. J'espère vous en reparler dans quinze jours.
Pierre Leyris est rentré hier, je crois, de Mytilène où il est resté quelques semaines - tout réconforté, me dit Betty. Il m'avait écrit, de Savoie, des lettres fort découragées, poignantes. Je le verrai ces jours-ci.
Paul de Roux est passé avant-hier ; notre conversation m'a rapproché de Grignan, dont il avait un si bon souvenir. Irai-je jamais de votre côté -, je suis tout versé à l'Ouest, où je vais encore le 19 octobre pour assister au mariage d'une des filles du patron-pêcheur chez qui je logeais. Comme témoin : c'est beaucoup m'engager, cela m'effraie un peu.
Toute mon amitié,

Henri Thomas

Je trouve à la télévision quelque chose d'infernal. L'abîme entre ces paroles et l'écriture !

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