241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/05/2021

"L'Embrasure", de Jacques Dupin, éditions Gallimard, 26 septembre 1969, 128 pages

Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. Et ce n'est pas pour qu'elle triomphe mais pour qu'elle s'abîme avec lui, avant de consommer un divorce fécond, que le poète marche à sa perte entière, d'un pied sûr. Sa chute, il n'a pas le pouvoir de se l'approprier, aucun droit de la revendiquer et d'en tirer bénéfice. Ce n'est qu'accident de route, à chaque répétition s'aggravant. Le poète n'est pas un homme moins minuscule, moins indigent et moins absurde que les autres hommes. Mais sa violence, sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s'inverser dans l'opération poétique et, par un retournement fondamental, qui le consume sans le grandir, de renouveler le pacte fragile qui maintient l'homme ouvert dans sa division, et lui rend le monde habitable.

 

Tu ne m'échapperas pas, dit le livre. Tu m'ouvres et me refermes, et tu te crois dehors, mais tu es incapable de sortir car il n'y a pas de dedans. Tu es d'autant moins libre de t'échapper que le piège est ouvert. Est l'ouverture même. Ce piège, ou cet autre, ou le suivant. Ou cette absence de piège, qui fonctionne plus insidieusement encore, à ton chevet, pour t'empêcher de fuir.
Absorbé par ta lecture, traversé par la foudre blanche qui descend d'un nuage de signes comme pour en sanctionner le manque de réalité, tu es condamné à errer entre les lignes, à ne respirer que ta propre odeur, labyrinthique. La tempête à son paroxysme, seule, met à nu le rocher, que ta peur ou ton avidité convoitent, sa brisante simplicité, comme un écueil aperçu trop tard. N'est vivant ici, capable de sang, que ce qui nous égare et nous lie, cette distance froide, neutre, écartelante, jamais mortelle, même si tu m'accordes parfois d'y voir crouler la lumière, et s'efforcer le vent
.

 

Soustraite à la respiration de ce qu'elle avait imaginé jusqu'ici refléter, argent d'un bracelet terni par la lune et que purifiait au matin le passage d'une autre haleine, cette silhouette désormais, à chaque instant comme redessinée par son ombre dansante, s'apprête à sortir du jardin par une porte dérobée. Un bras levé devant les yeux, la paume ouverte contre le dehors effrayant, son geste fait scintiller la ligne des montagnes au-delà de la cime des arbres.
Non, plus jamais le pourquoi des étincelles, mais leur macération, la nuit, dans une forêt d'arbres bas et de mots voltigeant autour de fruits inconnaissables. Je suis cassé par le cri d'un oiseau. Soulevé avec la première goutte d'eau qui débordera de la jarre. Mais la moitié du corps engagée dans le mouvement des labours.


Jacques Dupin

08:49 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.