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26/05/2021

"Orgiophantes de la chambre du fond", de John-Émile Orcan, éditions du Fourneau, septembre 1985, 20 pages sérigraphiées sur Ingres Arna noir

Dans cette convoitise de l'autre, j'ai été tenté par des voies de détour. Je m'asseyais au bord d'un lac hertzien. J'avais quelque chose de dérisoire et de pitoyable, comme tous les naufragés de la ville. Je me sentais devenir filiforme, puis liquide, puis onde et prolongation vocale. Ma voix se propageait dans le noir. Qu'avais-je à communiquer ? Tout, rien. Des voix s'interpellaient, se frôlaient avec irrespect et impudeur. Et c'était là, dans ce champ diffus et aveugle que saturaient les appels débridés, que les choses devenaient prosaïques et fascinantes.
La promiscuité auditive supplantait celle des corps. Les autres étaient d'invisibles dauphins dont les cris océaniques parvenaient à moi en une drague incertaine. J'écoutais avidement, dans cet espace frituré, le chant plaintif de centaines de désirs à la dérive. Des objets se déplaçaient de la gauche vers la droite, et vice versa. Trajectoires chuchotées sur fond nocturne, étoiles se cherchant ou comètes arrachées à leur vieux rêve natif.
Je finissais par capter une voix. Elle me soumettait à un interrogatoire serré, méthodique, cruel, pareil à un test de recrutement. Nos questions-réponses fonctionnaient comme une prise multiple, interconnectant nos sens jusqu'à épuisement de leurs combinaisons variables. Inassouvissables dans nos corps, il nous restait la fascination d'une intimité fantasmagorique et obscène. Je devenais le parangon des vertus froides de son délire, j'étais Prince d'un royaume extatique que célébraient l'insondable nuit des météores et notre arpentage insolent le long des trottoirs galactiques.


* * *


Debout sur son corps antique, je me dressais, archange ou orgiophante, absorbé par cet ample bruissement musical, ce piano polonais qui égrenait son triomphe douloureux comme une boursouflure à l'endroit du cœur. Je veux dire, tout ce cristal qui explose et emporte, laissant plus seul et éperdu que jamais, cette crispation de tout le corps, puis la détente sculpturale qui se prolonge jusqu'aux confins de l'infini. Puis la foudre qui bouleverse le paysage phonique.Là, justement, est la blessure dont on ne guérit pas. Ce vol n'est qu'un tracé de poussière qui épouse mes humeurs arc-en-ciel.


John-Émile Orcan

01:26 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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