241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

09/08/2021

"L'Ancolie", de Jean-Loup Trassard, éd. Gallimard, coll. Le Chemin, 10 septembre 1981, 232 pages

Cinquième livre de cet auteur, ses récits fleurent bon la poésie, une poésie dénuée d'affèteries, où le descriptif est à tout instant sublimé par l'image intérieure que nous communique le scripteur (comment comprendre, à la lecture de ces pages, la distinction entre prose et poésie ?).
Comme Raymond Depardon dans "La Terre des paysans", livre paru au Seuil (4/9/2008), J.-L. Trassard évoque un monde en voie de disparition, couplé qu'il tente de demeurer avec les biens que nous procure la la terre mère ; un monde auquel continuent de se référer les amoureux de la nature. Dans le titre paraît l'ombre portée du fameux dessin de Dürer, sa Mélancolie.
La plante, dite dans ces pages "elle" : soit l'ancolie, ne fait qu'initier les neufs récits de cet opus qui entend préserver en lui le souffle vital, dont on ne sait si, demain...
Ici, la mort nomade côtoie la vie, se fait l'écho d'une souveraine solitude, celle du narrateur ; d'un exil, intérieur. J'ai choisi pour vous le retour à l'huis/lui, des pages 63 et 64 :

* * *

Le cerceau de bois

Pas de lumière, des mèches à pétrole traînaient l'ombre, des tentures flottantes. L'eau d'une pompe rouillée. Pour mon enfant nouveau une maison tant chargée de morts... Le berceau fut mis sous les tilleuls en fleurs. Un parc d'osier plus tard entre les campanules blanches.
La neige en se posant ramène la neige ancienne. Sans traces, sans empreintes. Une seule lampe, une table - les chouettes nimbées de leur tiédeur se déplacent dans les branches - et sous le front, dans mon souffle, intenses, à peine saisissables pourtant, des instants ressurgis. Le corps tressaille au souvenir des respirations. Des jours, calices éphémères, ouvrent sur la limpidité d'un ciel leurs pétales d'arbres.
Déjà elle aimait l'automne, envahi par l'odeur des pommes, au potager et dans les prés comme une vapeur pourrissante. Le buis et le laurier chauffés cédaient l'après-midi aux fanes en brûlots, à l'âcre de la terre. Elle vit de douces brumes monter vers la lassitude des jardins. Les odeurs parce que ténues et secrètes se laissaient approcher, jusqu'au sang elles pénètrent qui sait les boire, poison d'humbles plantes sauvages ayant force d'envoûtement. Les recevant elle se livrait, à ses poignets frottés de menthe et d'artichaut les chaînes étaient invisibles. Elle ne devait jamais partir.
Dans un des lits jadis bassinés de cuivre et de braise tandis que nous attendions en tremblant, j'écoute la maison s'égoutter. Les draps humides tirent à eux la chaleur de mon corps. La laine, les plumes, reprennent vie sur moi, me laissant courbatu et glacé. Sur le dos, les yeux ouverts dans la maison entièrement ombreuse je suis, un peu au-dessus du sol, le lieu où se dressent et se coupent, achèvent de s'effacer les visages. Je n'entends même pas le battement des horloges creuses dans les couloirs, mais les meubles qui craquent, d'âge et de solitude.


Jean-Loup Trassard

12:15 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.