241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18/04/2014

"Voie de disparition", de Yves Leclair

Yves Leclair, qui vient de faire paraître chez Antoine Gallimard "Cours s'il pleut", m'adresse son dernier recueil, paru ce mois-ci de même, aux éditions Librairie La Brèche, sises à Vichy.

Avec, en exergue à son livre orné en première de couverture d'une estampe en couleur d'Hiroshige, "Vue lointaine du mont Akiba", une phrase extraite d'un texte bouddhiste : "Le chemin existe, mais pas le voyageur". Comment dire mieux, n'est-ce pas ? Être en chemin, seul au bord de la route qui fait signe.

J'extrais quelques lignes de cet opus, au quatorzième chapitre, intitulé "Maison de paille" : "L'instant poétique n'est guère voulu, mais il est reçu, plus ou oins bien accueilli, parfois trouvé au hasard. On le trouve sans le trouver, on le rencontre, l'accueil, le cueille sans le vouloir. On y crèche sans rien. C'est non seulement une affaire d'humilité, mais surtout une histoire de coeur, de nudité et d'accouchement dans la paille."

Volià qui me parle, dans ce qui regarde ces hasards quand ils nous composent une vie, et sans lesquels nous ne serions rien, au vrai. Tout ne se résumerait-il pas, au fil de l'eau, à ce qui nous échappe continûment, pour mieux resurgir à l'improviste, quand on ne s'y attend plus guère. Opus incertum.

Henri Thomas avait bien vu la chose ; en fait, c'est d'un voyage intérieur qu'il s'agit, "éternel" si l'on peut dire, à la façon d'un Joseph de Maistre.

                                                                                                 Daniel Martinez

10:49 Publié dans Recueil | Lien permanent | Commentaires (0)

15/04/2014

Diérèse N° 62

Dans le dernier numéro paru de Diérèse, le 62e, il conviendrait de citer d’abord, côté « Poésies du monde », des traductions de poèmes en bilingue de Wang Wei (701-761), de la période T'ang :

 

« Déserte semble la montagne,
On perçoit cependant des voix humaines.
Le soleil au couchant pénètre dans la forêt,
Et se reflète sur les mousses. »

 

Chez ce poète, chaque séquence est un psaume muet, qui favorise plus la décantation que l’incantation. Il s’agit de se remplir de vide pour mieux se pénétrer du monde, puisque toute chose est l’image de sa propre disparition, et l’être est la figure la plus proche du néant dont il est la plénitude si fugace. D’où ces mots libérés d’eux-mêmes et de leur excès d’interprétation, imprimés sur le miroir tournant des pages.

 

 

Le premier « Cahier »  de poésie s’ouvre avec Richard Rognet, un bel ensemble intitulé : « En chaque aspect du monde », dédié à Guy Goffette :

 

« Filez vers le lumière beautés profondes
qui hantez les sommets d’ici, filez,
filez, de mes mains engourdies
à l’aisance du ciel choyé par les nuages. »

 

Il y a chez Richard R. cette aisance et cette simplicité propre aux plus grands d’entre nous et j’ai relu pour le plaisir, parallèlement, « La forêt de pins de la Cascine près de Pise », de Percy Bysshe Shelley, en particulier cette strophe :

 

« Sœur rayonnante du Jour,

éveille-toi ! lève-toi !
et viens à nouveau !
dans les bois sauvages et les plaines,
près des étangs où les pluies d’hiver
réfléchissent toute entière la voûte des feuilles… »

 

Ici et là, toujours les mêmes envolées lyriques, disent autant qu’elles reflètent, la Nature (l’art divin), Leibniz. Ouvrir les mains, lâcher les signes !

 

Puis, Silvia Baron Supervielle et ses « Six poèmes en attente » :

 

« vers quelle mort
pousse-t-il
dans ses racines
et ses branches
l’arbre seul
de l’allée ».

 

Le jour s’obscurcit, et comment parler, semble demander Silvia B.S., quand l’ombre couvre les visages ? Silence de braise, où couve l’absolue certitude que l’aventure n’est pas finie, que les mots pourraient racheter cette part d’éternité qui manque aux lèvres, quand ce qui parle en soi n’a ni voix ni visage.

 

Jean-Pierre Chambon et son « Champ de tournesols, embrasement et ténèbres », à la quête « d’un semblant de sens », écoutons-le : « Tout penche, tout semble répondre à l’ordre de la lumière et du vent… L’œil s’applique à supposer dans le grouillement le tracé malhabile de constellations… Je regarde une chenille de braise devenir papillon de cendre sur la pupille des fleurs hypnotisées » Un battement de ciels suffit et le monde reprend sa course, une seconde interrompue ; Isabelle Lévesque suit, quand « L’été retient ses branches »

 

 

Avec Emmanuel Moses, c’est l’« Ivresse » : « Nous avançons sur un fil, pleurant et riant / L’amour est notre balancier mais nous chutons dans le filet… » et, plus loin, l’on repense à Michaux : « L’homme troué ne sait pas aimer / Il prend le visage chéri entre ses mains / Y comprend-il quelque chose, y voit-il rien ? », ténèbres cellulaires et blanc de la lumière, les souvenirs se conjuguent, s’interpénètrent, le poète les saisit, au sens photographique du terme, en une ronde vertigineuse qui nous ouvre tout entiers à son univers.

 

 

Le « Cahier » 2 débute avec Claude Dourguin : « Parmi les agréments de l’écriture, celui de la savoir jamais définitive, et, davantage, éprouver que c’est cela même qui en fait une aventure, oui, cet agrément-là n’est pas le moindre. » Prose raffinée que la sienne qui plonge dans l’histoire aussi bien qu’elle laisse affleurer le présent, souvent pour déplorer les travers et cette perte de repères essentiels de notre civilisation pour appeler de ses vœux : « Notre souhait de poésie ? Ici et maintenant ? Que le réel soit enfin aux couleurs de l’imaginaire… ». tout est dit, car : toucher l’écorce, est-ce l’atteindre ? certes pas. Le poème est attente et désir, hiéroglyphe de la foudre qui nous prend, gagne l’affectif autant que la raison raisonnante.

 

 

Michel Butor : « Transmission d’énergie » :

 

« Entre l’image et la phrase
photographie ou pinceau
impression ou à la main
ou le chant de la diva
des étincelles s’échangent
pour faire tourner les têtes
qui somnolaient tristement… »

 

La tension du sens, le sens des formes comme poussée, comme pulsations et qui instruisent un procès contre ce que l’on appelle à tort l’ordre du monde. Le lieu de la chose est-il ce qui reste en dehors d’elle, ou l’habite ?, ces questions pour le poète se posent tout au bord de ce qu’il perçoit et retraduit (tactilité visuelle), de ces mille riens qui lui sont un tout.

 

 

Troisième et dernier « Cahier », où Pierre Bergounioux nous livre des pages inédites de ses Carnets : « À cette fête des yeux s’ajoute la paix, la solitude vertigineuse de la Corrèze haute… À l’atelier. Je soude un chaman longiligne, sept petits personnages dont le corps est fait d’un burin, les bras de demi anneaux de chaîne et, pour finir, une composition de segments de tôle découpés à l’oxygène. » Sculpteur aussi bien que romancier, Pierre B. m’écrit, parlant de Diérèse 62 : « J’y ai retrouvé des figures familières et, quoique prosaïque dans l’âme, ne me suis pas senti dépaysé. Même Wang Wei pourrait passer pour un contemporain, un voisin… »

 

                                                                   Daniel Martinez 

 

 

 

 

 

 

                                                                             

12:42 Publié dans Revue | Lien permanent | Commentaires (0)