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05/07/2016

Pierre Jean Jouve, vu par Jean Rousselot

Cette étude est parue in Le Dernier carré, en mars 1935, une revue que dirigeait Jean Rousselot. Elle n'a pas été reprise en livre, mais a été reproduite in Diérèse opus 7. Voici :

Pierre Jean Jouve

Plus que jamais, le rôle de la poésie et des poètes mérite d'être défini ; quand l'Esprit, fatigué, hésitant devant la solitude qu'il a voulue et qu'il saura justifier, se retourne, interroge au fond de l'homme une grande nuit pleine de mystères.
Notre temps restera marqué par ce retour plein d'inquiétude aux sources de la vie, par cette orientation souterraine d'un intellectualisme effréné, signes qu'il nous est donné de voir aujourd'hui, préludes historiques aisément reconnus dans des siècles parallèles.
A cette recherche passionnée, dans les couches les plus profondes que la découverte de l'inconscient nous ait révélées, d'une étincelle de vérité, d'une figure sans équivoque, parmi les sanglantes transmutations de nos hérédités, se sont consacrés les grands poètes de notre temps.

Pour Pierre Jean Jouve, l'homme continue, à travers l'éternité, une ascension douloureuse qu'il ne terminera que pour entreprendre d'autres montées aussi longues et désespérées. Tout sanglant encore du plasma auquel il fut durement arraché, l'Etre se débat entre la nuit aveugle de ses origines et les forces raisonnées, entre les puissances qu'il a su capter et asservir et les courants inconnus qui le soulèvent, entre "l'impulsion de l'Eros et l'impulsion de la mort". Au centre de la blessure, toujours neuve, qui sépare l'inconnu et le connu, Pierre Jean Jouve situe ce qu'il appelle la Faute, le Péché, et qui est le plus étroit, le plus exact contour de l'homme. C'est à travers ce paquet de muscles, de sang, que le monde parfois recule, coïncide avec son mirage, grâce à des lueurs que, seul, peut reconnaître le génie du poète. De là, cette obsession mystique de la plaie qu'il faut combler pour que la matière et son image restent éternellement confondues.

A cette tâche surhumaine, les surréalistes ont travaillé dans l'humilité la plus grande, suivant patiemment le cours orageux d'une pensée jusqu'alors inconnue. Leur souci de dépouillement, de vérité, est allé jusqu'à reproduire cette pensée dans les déformations dues aux circonstances pathologiques les plus diverses. Assurément, les démarches de Pierre Jean Jouve sont plus proches de ce "moyen d'expression" que les surréalistes opposaient à la "poésie-activité-de-l'Esprit", la leur... mais un parallèle saisissant apparaît entre ces deux tentatives de reconstituer le monde à travers ses plus secrètes mythologies. De part et d'autre, une pareille "disponibilité" remplace dans la poésie, le travail et le choix.

Les moyens de Pierre Jean Jouve, moins restreints, peut-être plus efficaces, laissent filtrer des sanies, accordent à certains éléments une place que l'esprit leur refuse tout d'abord. On pense à ces étonnantes peintures du Greco où les corps s'allongent démesurément, étirés par une victorieuse ferveur.

Tout intégrer dans ce langage, obstinément tendu vers la réalité supérieure qu'est la poésie, tel est le mérite primordial de l'oeuvre de Pierre Jean Jouve. Dans ces bas-fonds, jamais atteints avant les récents progrès de la psychanalyse, et qui sont les fangeuses fondations de notre morale et de nos habitudes, Jouve a puisé la sainteté en même temps que le péché, l'érotisme en même temps que la grâce. Il les ramène au jour, les interroge, soucieux d'atteindre le centre de notre bouleversante dualité. Il est sans aucun doute le premier poète qui ait témoigné d'une pareille clairvoyance et l'on sent d'une façon saisissante qu'avec lui la poésie devient vraiment le premier des moyens de connaissance.

Le mal et le bien, la faute et la sagesse, s'ils apparaissent ici, dans une clarté implacable, étroitement confondus, n'en livrent que plus utilement les voies secrètes qui, les traversant, conduisent l'homme à son destin et le préparent aux révélations, aux révolutions futures. Ces nouvelles armes qui nous sont données par Pierre Jean Jouve ne rayonneront pas seulement sur le plan mystique où l'on sent qu'elles étaient, à l'origine, dirigées. La liberté est au bout d'une connaissance de soi-même de plus en plus profonde et c'est par là que l'actualité et l'urgence de telles découvertes apparaissent entièrement. Ce n'est pas le péché, cet ange à "l'aile de désespoir" qui sera le facteur de la transformation de l'univers, mais il nous est révélé que le retrancher de l'homme ou l'ignorer serait fausser toutes les données que nous possédons pour comprendre et préparer l'avenir du monde et de la pensée.

                                                                          Jean Rousselot

A signaler l'intéressant article de Jean Gédéon sur Pierre Jean Jouve, paru sur le blog La Pierre et le Sel, le 31/1/2012.

04/07/2016

Margherita Guidacci (1921-1992), traductions inédites

Canopo

Guardo il fulgore di Sirio e mi chiedo
se il tuo, che dicono gli somigli
nell'altra metà del cielo, potrò mai
contemplare con questi occhi di carne,
o soltanto il pensiero, discendendo furtivo
come fa ora, lungo il meridiano,
t'inseguirà in quel mare
sconosciuto per me, eppure amato,
dove guidi in silenzio la tua prua,
nocchiero astrale, Canopo.

                        Margherita Guidacci


Canope

Je regarde l'éclat de Sirius et je me demande
si je pourrais jamais
contempler de mes yeux
le tien que l'on dit semblable
dans l'autre moitié du ciel,
ou si ma pensée, descendant furtivement
comme maintenant, le long du méridien,
sera seule à te suivre sur cette mer
inconnue de moi, et pourtant aimée,
où tu mènes en silence ta proue,
Canope, pilote astral.

                    trad. Bruno et Raymond Farina

 * * 

Meteoro d'inverno

Stelle fugaci, delfini del cielo,
con voi viaggia la mia anima,
un guizzo luminoso nelle onde
turchine della notte,

verso i lontani amici desiderati
che forse scorgono il segno, e pensando
con la mia stessa nostalgia
a dolci ore passate insieme

pregano ci sia dato un nuovo incontro,
ed è già esaudimento la preghiera :
il simultaneo affetto, nella scia della stella,
ci stringe in un abbracio immateriale.

                                         Margherita Guidacci

 

Météore d'hiver

Etoiles fugaces, dauphins du ciel,
avec vous voyage mon âme,
brève lueur sur l'eau
bleu sombre de la nuit,

vers des amis lointains et désirés,
qui peut-être discernent le signe et, en pensant
avec la même nostalgie que moi
aux douces heures passées ensemble,

prient pour que nous soit donnée une nouvelle rencontre,
et leur prière s'exauce d'elle-même :
un élan simultané, dans le sillage de l'étoile,
nous réunit en une immatérielle étreinte.

                               trad. Bruno et Raymond Farina

01/07/2016

Diérèse 65 évoqué par la revue Phoenix

Diérèse 65

Ce numéro est aussi agréable à découvrir que les précédents : pages richement illustrées de peintures, dessins, collages (un collage de Ghislaine Lejard m’a particulièrement intéressée)… L’ensemble comprend neuf rubriques ; le lecteur va à la rencontre de la poésie, de la littérature et des arts. Après une belle réflexion sur « La voix de la traduction », Alain Fabre-Catalan présente Georg Trakl, à qui est dédié aussi un dessin de Max von Esterle. Dans le domaine chinois, le poète Du Mu (803-852) est évoqué et traduit par Guomei Chen. Trois cahiers accueillent quinze poètes. Richard Rognet en ouvre l’ensemble. Line Szöllösi fait entendre les biches qui halètent et la foudre tombée comme un nid. Cette matière à rêver (Isabelle Lévesque) lie en filigrane l’ensemble de ces cahiers. « Récits » accueille trois auteurs ; la rubrique d’Etienne Ruhaud, « Libres propos », évoque le tombeau des poètes. Les cimetières choisis sont ceux de Saint-Mandé où repose Juliette Drouet et de Bagneux (Alfred Jarry). Ici, c’est la pierre tombale qui parle, révèle son histoire. Après la rubrique « Cinéma » vient celle des « Bonnes feuilles », aux nombreuses recensions ! La présentation des éditions Les Deux-Siciles en fin de volume confirme le pouvoir de Diérèse : ouverture à tous les horizons.


 Marie-Christine Masset – Phoenix (Printemps 2016 – Numéro 21)

 

17:08 Publié dans Diérèse | Lien permanent | Commentaires (0)